Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 6 décembre 2015

Lettres d'Otrante

Geneviève Bergé
Editions Luce Wilquin



Aafke, restauratrice d'art hollandaise, a rejoint ses collègues occupés à restaurer la mosaïque médiévale de la cathédrale d'Otrante, dans les Pouilles. La ville est calme une fois l'été passé et les touristes rentrés chez eux ; seuls les habitants apportent un peu de relief à l'apparente monotonie du quotidien. Pourtant, Aafke trouve mille choses sur lesquelles disserter : sa propriétaire obnubilée par la chasse aux loirs, ses rencontres avec Anita et sa fille Coca, venues d'Erythrée, le petit chat qui s'est installé chez elle d'autorité, les conversations qui vont bon train au café, les réfugiés que la mer a déposés un matin... 

Emotions, remarques, interrogations... Aafke confie tout à un homme éloigné au propre comme au figuré. Victime d'une maladie qui l'a progressivement privé de tout mouvement, de toute parole, il ne communique que grâce à un ordinateur commandé par ses mouvements oculaires. La conversation est lente et peu fournie, d'autant que l'homme - qui fut peut-être un amant - est du genre cynique - on le serait à moins.

Sans se décourager pourtant, la narratrice écrit, reliant ainsi à la vie celui dont l'existence ne tient plus qu'à un fil : mouvement de balancier subtil entre l'action et l'immobilisme, entre les petits riens du quotidien auquel elle donne relief et profondeur et les événements historiques qui façonnèrent la ville au fil du temps. En filigrane, toujours, la peur qu'un jour cet homme ne réponde plus parce que la vie s'est en allée.

Loin de l'agitation, du bruit, du chaos qui parfois nous entourent, lire les Lettres d'Otrante nous ramène à l'essentiel : la perception subtile de l'ici et maintenant, de ce qui nous lie, nous relie, nous rattache... A travers une palette d'émotions, l'auteure nous invite à accorder notre souffle au rythme de ses mots. Le chemin est parfois exigeant, comme l'existence, mais il témoigne d'un talent réel à transformer l'apparente banalité des petits riens en source de beauté et d'émotion.


dimanche 22 novembre 2015

Quand l'empereur était un dieu

Julie Otsuka
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bruno Boudard
10/18


L'attaque menée par les Japonais sur Pearl-Harbour en 1941 provoqua l'entrée des Etats-Unis en guerre aux côtés des alliés. Elle fit naître sur le continent américain un profond sentiment anti-japonais auquel furent confrontés des milliers de Nippo-américains parfaitement intégrés. En réaction à cette attaque, le FBI procéda à l'arrestation et à l'internement de milliers de Nippons qui furent proclamés "totalement inassimilables et loyaux à l'empereur". Des familles entières furent déplacées vers des "Relocation Centers" (en réalité, des camps de concentration) disséminés dans l'ouest des Etats-Unis ; elles y furent maintenues jusqu'à la fin du conflit. 

Dans ce qui est son premier roman, Julie Otsuka nous invite à partager le destin d'une de ces familles. Un matin, le père est arrêté sans un mot, sans une explication. Peu après, la mère et les enfants (un jeune garçon et sa soeur aînée) sont déportés. Ils embarquent à bord d'un train, ignorants de leur destination mais conscients de la précarité de leur avenir. Derrière eux, ils laissent leur maison, leurs souvenirs, leur vie.

Dans le camp, la vie s'organise au quotidien. Les baraquements, les files, la promiscuité... chacun réagit différemment. Si la mère semble faire preuve d'une force tranquille, elle cède pourtant à un désespoir silencieux. Le fils, très attaché à son père dont il guette les moindres courriers, semble être celui qui souffre le plus de ce déracinement. La fille quant à elle, aux portes de l'adolescence, est surtout animée par une pulsion de vie.

A la fin de la guerre, chacun est renvoyé chez soi avec un billet de train et 25$ dans la poche. La vie reprend son cours, même si dorénavant, dans le quartier, tous évitent de croiser le regard de ces "revenants". Un jour enfin, c'est le père qui réapparaît, méconnaissable... Ce qui illustre un épisode historique est le témoignage d'une profonde injustice envers des innocents. Le dernier chapitre du roman en témoigne avec une force décuplée.

Outre le fait qu'il s'inspire de faits réels ayant directement touché sa famille, ce qui donne de la puissance au texte de J. Otsuka, c'est paradoxalement le détachement avec lequel elle construit son récit. Pas de nom ou de prénom pour les personnages principaux, pas ou peu de détails physiques... L'histoire de cette famille symbolise celle de toutes les familles déportées. Le style épuré et le ton narratif sans emphase donnent à ce récit une intensité et une dignité que l'on retrouve, par ailleurs, dans un autre de ses romans, Certaines n'avaient jamais vu la mer.

On ressort de cette lecture profondément touchés et plus que jamais conscients de la fatalité qu'il y a à se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. En cela, l'histoire n'a malheureusement pas fini de se réécrire.


mardi 17 novembre 2015

Mes seuls dieux

Anjana Appachana
Nouvelles traduites de l'anglais (Inde) par Alain Porte
Zulma


Amateurs de nouvelles, voilà de quoi vous combler tant les huit récits qui composent le recueil d'Anjana Appachana sont passionnants. Au-delà du genre, parfaitement maîtrisé, ce que l'on retiendra de cet ouvrage, c'est la justesse et  la précision avec lesquelles l'auteure analyse la société indienne contemporaine : une véritable radiographie dont l'angle d'approche - la place de la femme issue de la "middle class" dans la société - constitue à lui seul un prisme de choix.

A travers différents regards féminins, chaque histoire nous plonge dans une Inde partagée entre tradition et modernité, entre valeurs ancestrales et évolution irréversible. Certes, on  y croise parfois des fantômes (Le fantôme de la Barsati), mais on y lit aussi la volonté d'une femme de ne pas se soumettre à ce que la société - et plus précisément sa belle-famille - attend d'elle (Bahu) ; on y rencontre une fillette qui voue à sa mère une véritable adoration (Mes seuls dieux) et une future mariée confrontée à un viol qu'elle n'ose confier à ses parents (Incantations) ; on y partage la tristesse d'une mère dont la fille vit à l'étranger (Sa mère) et les angoisses d'une jeune fille enceinte hors mariage (Prophétie) ; on y découvre aussi la difficulté qu'il y a à être une femme nantie de responsabilités dans un univers professionnel majoritairement masculin (Sharmaji et Sharmaji & les sucreries de Diwali).

Quel que soit le récit, Anjana Appachana parvient, en quelques pages, à créer un univers dans lequel elle emporte son lecteur qui se trouve inévitablement en empathie avec les personnages. Drôles, grinçantes, émouvantes ou irritantes, ces nouvelles auront, sans nul doute, une résonance particulière pour quiconque a voyagé en Inde. Plus largement, elles séduiront tout lecteur curieux de découvrir l'une des multiples facettes de ce pays fascinant à plus d'un titre.

Bord de mer à Pondichery (© S. Strobl)


dimanche 1 novembre 2015

Qu'est devenu l'homme coincé dans l'ascenseur ?

KIM Young-ha
Nouvelles traduites du coréen par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel
Picquier Poche


Quatre nouvelles composent ce recueil de l'écrivain coréen KIM Young-ha. Considéré comme l'un des chefs de file de la nouvelle littérature sud-coréenne, témoin d'une société moderne libérée du joug des dictatures, Kim Young-ha est lauréat de nombreux prix littéraires dans son pays.

Dans ce recueil, quatre héros, tous masculins, sont confrontés à des situations étranges, parfois cocasses, parfois angoissantes. Le premier doit faire face à une journée où les imprévus et les contretemps s'enchaînent, ne lui laissant pas la possibilité d'appeler les pompiers pour secourir un homme bloqué dans un ascenseur ; le second, auteur à succès, reçoit une lettre surprenante d'une femme qui lui décrit les moeurs étranges et pour le moins inquiétantes de son mari qu'elle soupçonne être un vampire ; le troisième, malgré la mise en garde d'un devin, tombe amoureux ce qui a pour conséquence de le faire disparaître progressivement ; le dernier, enfin, est confronté à une existence vide de sens que la réapparition de deux anciens condisciples parvient à peine à bousculer.

Relations codifiées, monde du travail sans pitié, situations ubuesques, voire kafkaïennes, ou flirtant avec un onirisme qui n'est pas sans évoquer Murakami, voilà pour le cadre général de ce recueil écrit d'une plume alerte. S'il se lit avec plaisir, il me laisse toutefois sur ma faim : on est loin des grands maîtres de la nouvelle, qu'il s'agisse d'un A.E. Poe, d'un Gogol ou d'un Maupassant capables de faire naître de véritables émotions en quelques pages. J'ai le sentiment, ici, d'une lecture un peu trop lisse, même lorsque les thèmes flirtent avec l'étrange ou l'irrationnel. Voilà donc une première rencontre avec la littérature coréenne qui en appelle d'autres : vos suggestions sont les bienvenues !

dimanche 18 octobre 2015

Un amour aussi grand que le désert de Gobi vu à travers une loupe

Tilman Rammstedt
Traduit de l'allemand par Brice Germain
Editions Piranha


Au jeu des 7 familles, Keith n'est pas sûr de gagner ! Chez lui on trouve un grand-père, une succession de grands-mères toutes plus jeunes les unes que les autres, quatre supposés frères et soeurs, une mère presque inconnue et un père inexistant ! Ce n'est pas la meilleure distribution pour se construire et trouver un sens à sa vie. Peut-être est-ce pour cette raison que, dans un moment d'ennui, Keith en arrive à séduire la dernière compagne de son "pépé" ? Quant à l'aïeul, 80 ans au compteur, il ne trouve rien de mieux que de choisir la Chine comme destination de voyage pour fêter son anniversaire et, pour couronner le tout, il choisit Keith comme compagnon de route.

Une petite virée au casino plus tard, voilà le jeune homme bien embarrassé d'avoir perdu tout l'argent destiné au voyage ! Et comme un malheur n'arrive jamais seul, un coup de fil de la morgue lui annonce que son grand-père, qui avait disparu, a trépassé. Incapable de partager ces nouvelles avec sa fratrie, Keith décide de se cacher et commence à rédiger une correspondance dans laquelle il décrit, avec force détails, le voyage imaginaire que son grand-père et lui sont en train de réaliser en Chine. Afin de donner le change à ses frères et soeurs, il ne lésine ni sur les détails, ni sur les clichés, ni sur les pires élucubrations.

Comment ne pas succomber à un tel scénario, quasi cinématographique ! Mais alors que l'éditeur nous dit, sur la quatrième de couverture, qu'il s'agit d'un "livre pétillant, truffé de trouvailles hilarantes, qui se referme forcément le sourire aux lèvres" (ce qui, sans être faux, me semble un peu excessif), on peut y voir un autre niveau de lecture plus profond, plus sensible aussi. Car la relation qui unit Keith et son grand-père, pour particulière qu'elle soit, n'est pas exempte de tendresse et d'émotion. Et ce voyage imaginaire n'est-il pas celui que Keith aurait réellement aimé effectuer en compagnie de son aïeul ? Quoi qu'il en soit, que l'on préfère le côté humoristique ou la lecture plus sensible - et les deux ne sont pas incompatibles - voilà un livre dépaysant ! Une petite remarque toutefois : à ne pas utiliser comme guide de voyage pour un périple en Chine, au risque de quelques détours imprévus !


Ce livre m'a été proposé par Babelio dans le cadre de l'opération Masse Critique.

dimanche 27 septembre 2015

Le Guide et la Danseuse

R.K.Narayan
Traduit de l'anglais (Inde) par Anne-Cécile Padoux
Zulma


Un vieux temple abandonné au bord de la rivière : voilà un endroit idéal pour un homme à peine sorti de prison qui cherche où passer la nuit. Persuadé d'y trouver le calme nécessaire  à la réflexion, Raju s'installe, loin d'imaginer que sa tranquillité sera de courte durée. "J'ai un problème, monsieur". Ainsi l'interpelle Velan, un paysan du coin que sa naïveté incite à croire que tout individu vivant dans un temple est un "Sage". 

Le problème, c'est sa jeune soeur qui refuse d'épouser l'homme auquel elle est destinée. Peut-être le saint homme pourrait-il lui parler, la convaincre... Quelques offrandes plus tard, Velan est de retour avec sa soeur, mais Raju n'est pas d'humeur. Sous prétexte de devoir réfléchir, il renvoie le paysan et la jeune femme. Or, miracle : celle-ci change d'avis et se résout au mariage. Il n'en faut pas plus pour que la réputation de Raju soit faite : c'est un véritable sage, un saddhu qu'il faut honorer. Dès lors, tous se pressent au temple pour déposer des offrandes et demander audience au "Swami" qui profite sans vergogne de la situation.

Oui mais voilà, Raju n'est pas plus saint que vous et moi ! Et son incapacité à faire tomber la pluie alors que la région tout entière se meurt sous la sécheresse l'incite à révéler sa véritable identité. Avant d'être emprisonné, Raju était guide touristique. Un guide qui savait comment satisfaire ses clients et jouissait d'une bonne réputation. Jusqu'à sa rencontre fatale avec Marco, un archéologue, et sa femme Rosie, férue de danse...

Sur le thème de l'imposture et de la crédulité, R.K. Narayan, grand maître de la littérature indienne, livre une satire savoureuse d'une société partagée entre tradition et modernité. De Raju à Gaffur, son ami chauffeur, en passant par Rosie, le barbier à qui Raju confie sa barbe en sortant de prison ou encore son oncle, chaque figure haute en couleur nous plonge dans l'un ou l'autre aspect de la réalité indienne : l'importance des croyances, le respect que l'on doit à la famille, le poids de l'héritage culturel... Mais au-delà de l'Inde et de ses particularismes, c'est sur l'homme et ses travers que l'auteur nous interpelle. La soif de reconnaissance et de célébrité qui anime Raju est-elle si différente de celle qui anime nombre de nos contemporains prêts à tout pour briller au firmament d'une gloire éphémère ? Ecrit en 1958, Le guide et la danseuse pourrait bien avoir des allures prophétiques !

"Sa barbe à présent effleurait sa poitrine..." (Temple de Chidambaran, Indes du sud)


mardi 8 septembre 2015

Eldorado

Laurent Gaudé
Babel n° 842


"L'herbe sera grasse (...) et les arbres chargés de fruits. De l'or coulera au fond des ruisseaux et des carrières de diamants à ciel ouvert réverbéreront les rayons du soleil. Les forêts frémiront de gibier et les lacs seront poissonneux. Tout sera doux là-bas. Et la vie passera comme une caresse. L'Eldorado, commandant. Ils l'avaient au fond des yeux. Ils l'ont voulu jusqu'à ce que leur embarcation se retourne. En cela, ils ont été plus riches que vous et moi. Nous avons le fond de l'oeil sec, nous autres. Et nos vies sont lentes".

Est-il besoin de commenter ce roman de Laurent Gaudé - dont on connaît par ailleurs les qualités littéraires ? Il nous plonge dans la réalité qu'affrontent, au quotidien, les milliers de réfugiés qui espèrent trouver en Europe la paix et la sécurité.

A lire de toute urgence, ou à relire, pour réveiller en nous, si besoin est, le sentiment vibrant de notre humanité.

dimanche 30 août 2015

Ici ça va

Thomas Vinau
10/18 n°4697


On ne connaîtra pas son nom mais sa femme s'appelle Emma. Ils viennent d'emménager dans la maison de son enfance, une maison aux allures de bouée pour un homme fragile miné par une sourde angoisse. Des raisons de son mal-être, on ne saura que la mort du père. Des raisons de sa renaissance, il y a ces murs poussiéreux qui ne demandent qu'à reprendre vie, ce jardin abandonné qui n'attend qu'à refleurir, ce ragondin pris au piège qui espère la liberté... Et puis il y a le vieux, le voisin : celui qui sait comment tailler la vigne et monter une ligne, celui qui connaît le lieu où le père a rendu son dernier souffle.

Entre souvenirs et présent, loin de l'agitation et de la grisaille de la ville, c'est une nouvelle vie que le couple est venu chercher et reconstruire. Une vie aux parfums de tilleul et de chèvrefeuille, qui murmure comme la rivière. Par petites touches impressionnistes, le narrateur colore son existence de nouvelles tonalités, en quête d'une harmonie perdue ; la nature et la simplicité que lui offrent la vie à la campagne en seront le ferment. 

"Ici ça va", "c'est par ces mots que je commencerais une lettre si j'étais loin, que j'allais bien et que je voulais rassurer quelqu'un". C'est aussi ce que l'on dit parfois par pudeur, politesse ou paresse, pour ne pas trop se dévoiler. C'est la manière poétique avec laquelle l'auteur nous interpelle et parle à l'âme et au coeur. Un livre qui touche à l'intime, à lire et relire tant les mots de Thomas Vinau sont justes. Ils nous rappellent que, sous leur apparente banalité, les petits moments du quotidien peuvent être le meilleur des remèdes, à condition de savoir les savourer.





dimanche 23 août 2015

Le restaurant de l'amour retrouvé

OGAWA Ito
Traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako
Picquier poche


Alors qu'elle rentre chez elle après son travail au restaurant, Rinco découvre que son amoureux est parti, vidant complètement l'appartement. De stupeur, la jeune femme en perd la voix. Tout a disparu : ses précieux ustensiles de cuisine achetés au fur et à mesure de ses économies, les prunes séchées réalisées des années auparavant avec sa grand-mère, le précieux mortier hérité de cette même grand-mère... Il ne reste plus rien ou presque : dans le réduit du compteur à gaz subsiste une jarre de saumure indispensable à la préparation de nombreux plats.

Totalement démunie, sa jarre sous le bras, Rinco décide de retourner dans son village natal qu'elle a quitté des années auparavant. Elle y retrouve sa mère, un être fantasque vivant avec une truie apprivoisée ; une mère avec laquelle Rinco n'est jamais parvenue à établir des relations chaleureuses et qui ne semble guère émue par ces retrouvailles impromptues. 

Pour éviter de sombrer dans l'apathie, la jeune femme décide de se consacrer à ce qu'elle aime par-dessus tout : la cuisine. Avec l'aide de Kuma, un ami d'enfance, elle aménage un restaurant baptisé l'Escargot. Là, elle ne se consacrera qu'à une seule table par service, réalisant un repas unique spécialement imaginé pour répondre aux envies profondes des convives. Pour y parvenir, Rinco cueille des grenades juchée sur un arbre, déterre des navets enfouis sous la neige... et surtout cuisine comme elle méditerait : profondément recueillie, traitant les produits avec égard et ses hôtes avec respect, se mettant totalement au service de l'art culinaire que lui a enseigné sa précieuse grand-mère. Le succès est au rendez-vous et très vite la nouvelle se répand : la cuisine de Rinco fait des miracles. Elle réalise les voeux les plus profonds de ceux qui la dégustent, comble les amoureux...

Ce premier roman d'une auteure japonaise spécialisée dans la littérature pour enfant est une véritable réussite ; il contente le lecteur comme l'amateur de cuisine ! A travers cette fable des temps modernes, Ogawa Ito met à l'honneur la transmission, le partage, la générosité... et le slow food ! Avec douceur et poésie, elle mène son lecteur à l'essentiel : l'âme des choses et des êtres. J'ai pris un plaisir immense à savourer chaque ligne de ce récit que j'ai lu avec le coeur empli de joie. Car c'est bien de cela dont il s'agit : de la joie qu'il y a à partager ce que l'on aime ! Plus encore que les autres fois, je vous souhaite donc bonne lecture !

Ce livre a été adapté au cinéma par Mai Tominaga en 2010 


Rinco's restaurant bande annonce (un petit clic !)

samedi 15 août 2015

Le legs d'Adam

Astrid Rosenfeld
Traduit de l'allemand par Bernard Lortholary
Folio n°5968


En retraçant l'histoire de deux hommes liés non seulement par des liens de sang mais aussi par leur quête d'amour et d'identité, Astrid Rosenfeld livre un premier roman tout à fait abouti qui, sous couvert de relater des destins individuels, nous plonge dans l'histoire collective.

Edward, jeune berlinois désœuvré, n'a pas connu son père. Dans la famille, lorsqu'on le compare à quelqu'un, c'est à son grand-oncle Adam qu'on fait référence. "Ce jour de printemps, je ressemblais à tous les autres bébés. Mais d'année en année, la ressemblance s'accrut. Les yeux d'Adam, la bouche d'Adam, le nez d'Adam." 

Pourtant lorsqu'il s'agit d'en savoir plus sur cet aïeul, le mutisme est de mise. De quel crime s'est-il rendu coupable pour que son nom génère tant de colère ? Adam aurait abandonné les siens, les dépouillant de tous leurs biens. C'est du moins ce que croit avoir compris Edward, jusqu'à ce qu'il mette la main sur un carnet écrit par Adam à l'intention d'une certaine Anna. Ligne après ligne, c'est une toute autre vérité qui se révèle : celle d'un jeune homme qui, par amour, a renoncé à suivre sa famille en exil en Angleterre pour retrouver la trace de sa bien-aimée en Pologne, au coeur du ghetto de Varsovie.

La galerie de portraits croqués avec justesse et un certain humour par l'auteure témoigne de sa profession première : Astrid Rosenfeld est directrice de casting pour le cinéma. Peut-être pensait-elle à l'un ou l'autre comédien en dépeignant Edda klingmann, la grand-mère d'Edward, ou son professeur de violon ? Evitant tout pathos, ce roman en deux temps - dont on regrettera peut-être que la première partie ne soit pas aussi percutante que la seconde - révèle une plume de qualité et laisse à penser qu' Astrid Rosenfeld ne s'arrêtera pas à ce brillant coup d'essai. 


samedi 8 août 2015

La clandestine du voyage de Bougainville

Michèle Khan
Points n°4048


Décembre 1766. L'Etoile et La Boudeuse sont sur le point d'appareiller, toutes deux sous le commandement de M. de Bougainville. L'objectif des deux navires est ambitieux : faire le tour du monde afin, d'une part, de céder les îles Malouines aux Espagnols qui les revendiquent et, d'autre part, prendre possession de nouvelles terres au nom de la Couronne et ramener de ce périple des métaux précieux mais surtout des épices : vanille, muscade, poivre... suscitent la curiosité du Roi et de sa cour.

Une telle odyssée ne peut se concevoir sans l'expérience de scientifiques. L'astronome Pierre-Antoine Véron sera de la partie, tout comme le médecin botaniste et naturaliste Philibert Commerson. A ses côtés, à bord de L'Etoile, le savant bénéficie de l'aide et de la compagnie de son valet, Jean Bonnefoy. Un curieux homme, ce Jean Bonnefoy ! Petit, d'apparence frêle et quelque peu efféminé, il surprend les matelots par son courage et sa force mais les intrigue également. Et pour cause ! En réalité, Jean s'appelle Jeanne et n'est autre que la compagne de Commerson. Veuf, celui-ci a rencontré la jeune femme alors qu'il herborisait. Jeanne a appris à connaître les plantes en suivant sa mère dans les prés et les bois ; Commerson de son côté a fréquenté les bancs de l'université. Mais qu'importe : entre ces deux-là, l'amour de la nature se transforme rapidement en amour tout court ! Impossible pour le scientifique d'imaginer ce périple autour du monde sans sa fidèle compagne, et impossible pour elle d'imaginer un instant ne pas participer à une telle aventure. Mais à cette époque, la place des femmes n'est pas sur un bateau. Aussi Jeanne a-t-elle recours à un stratagème pour faire partie du voyage : se déguiser et se faire passer pour le valet du scientifique.

Le voyage, on s'en doute, n'est pas de tout repos. Conditions climatiques difficiles, débarquements impossibles en raison de populations indigènes hostiles, épidémies et manque de nourriture, suspicion quant à la véritable personnalité du valet... Michèle Khan nous fait revivre une épopée qu'on n'oserait plus imaginer de nos jours et le voyage est passionnant ! D'autant qu'il s'inspire d'une histoire vraie : Jeanne Barret et Philibert Commerson ne sont pas sortis de l'imagination de l'auteure, tout au plus a-t-elle romancé leur rencontre et leur voyage. Dépaysement garanti, même si vous ne quittez pas votre jardin !


















dimanche 26 juillet 2015

Pueblo

Evelyne Heuffel
Ker Editions

C'est l'histoire d'une quête, presque une intrigue, construite comme un puzzle ! La narratrice, qui a vécu au Mexique avant de se réinstaller en Europe, reçoit une lettre de Nacha l'invitant à la rejoindre dans son "pueblo". Nacha, c'était la baby-sitter de sa fille, une indienne mexicaine rencontrée à Mexico des années auparavant, qui avait le don pour raconter des histoires. Mais était-ce des histoires ou des fragments de vérité ? 
Nous sommes en 1993 et, faute de temps, c'est par un courrier que la narratrice répond à l'invitation, un courrier qui lui revient avec la mention "adresse inconnue".

Quelque dix années plus tard, taraudée par les souvenirs, elle décide de partir au Mexique pour y retrouver la vieille femme. Commence alors un périple qui la mène de Mexico à Aguas Calientes, en passant par Real de Catorce, un village perdu dans le désert, sur les traces d'une Nacha introuvable. Au fil des pages, les souvenirs affluent, l'histoire de Nacha se dessine, se jouant de la chronologie. Passé et présent s'entremêlent dans un récit coloré, chatoyant, terriblement vivant - enrichi ponctuellement par des expressions en espagnol : ce sont les mots de Nacha qui chantent et résonnent. 

Très belle découverte que ce roman d'une auteure belge publié chez Ker Editions, une jeune maison d'édition, belge elle aussi ! Très beau voyage dans un Mexique profond qu'Evelyne Heuffel semble porter en elle tant elle le décrit avec un réalisme quasi cinématographique. Pour qui souhaite le dépaysement et l'authenticité, voilà un roman tout indiqué.


dimanche 19 juillet 2015

Pietra viva

Léonor de Récondo
Points n° 4012

A 30 ans, Michel-Ange est déjà le sculpteur de renom que l'on sait, mais c'est aussi un petit garçon orphelin qui n'a jamais su dépasser le sentiment d'abandon laissé par la mort de sa mère bien-aimée. Or, la mort frappe à nouveau, emportant Andrea, un jeune moine d'une beauté troublante auquel l'artiste est très attaché. Cette mort le plonge dans une infinie tristesse. Afin de s'occuper l'esprit et de dominer son chagrin, Michel-Ange quitte Rome et se rend à Carrare pour y choisir le marbre qui servira au tombeau que le pape Jules II lui a commandé. Là, dans cette petite ville qu'il connaît bien, au milieu de la campagne toscane, l'artiste s'étourdit dans le travail le jour, confronté la nuit à des rêves qui ravivent sa douleur. Entouré des carriers et des tailleurs de pierre, l'homme irascible et tourmenté se laisse progressivement apprivoiser par Michele, un jeune garçon qui vient de perdre sa mère. La spontanéité et l'innocence de l'enfant ainsi que la naïveté poétique et la folie douce de Cavallino font renaître chez le sculpteur une palette d'émotions profondément enfuies. En s'y abandonnant, l'artiste s'ouvre à une dimension nouvelle qui transcendera désormais son oeuvre.

Avec beaucoup de finesse, Léonor de Récondo nous conduit sur les traces d'un Michelangelo que la vie n'a pas épargné. L'homme, que l'on avait déjà croisé dans le très beau roman de Mathias Enard, Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, trouve son répit dans la pierre qu'il choisit avec précision et taille avec talent. Mais l'auteur lui ouvre une voie nouvelle : celle de l'attention aux autres, de l'écoute. Une voie que connaît bien l'écrivain, violoniste baroque avant de manier la plume et qui, comme tout musicien, sait à quel point l'écoute est capitale. Cette très belle réflexion sur l'art et la création, mais aussi sur la mort qui nous bouleverse tous, est menée avec une grande simplicité et une profondeur infinie, dans une langue épurée mais percutante. La marque d'un grand talent !

"Ce livre magique, magnifique et lumineux, est un best-seller". Une telle indication sur la couverture d'un roman a pour habitude de me faire fuir tant je me méfie de tout ce qui s'apparente, de près ou de loin, à un succès de foule. Pourtant cette fois, ma curiosité fut plus forte que mes a priori et ce, pour mon plus grand bonheur. Un bonheur que je vous invite vivement à partager.

dimanche 19 avril 2015

Les mille et une gaffes de l'ange gardien Ariel Auvinen

Arto Paasilinna
Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail
Folio n°5931


De son vivant, Ariel Auvinen était un brave homme, sans grande envergure. Aussi espère-t-il se rattraper après son décès lorsque que l'opportunité lui est donnée de rejoindre la cohorte des anges gardiens menée par Gabriel. C'est d'ailleurs auprès de ce dernier, dans une église de Kerimäki en Finlande, qu'Ariel et d'autres trépassés suivent un séminaire de formation afin d'apprendre à protéger les mortels qui leur sont confiés. Mais pour qui s'imagine que cela est aisé, Ariel est la preuve flagrante qu'il n'en n'est rien ! 

Doté d'une paire d'ailes de 10 mètres d'envergure qui compliquent ses déplacements, Ariel commence par prendre soin d'une vieille dame un peu bigote, sans grand succès. Jusqu'à ce qu'il découvre son nouveau protégé, Aaro Korhonen, un homme dont la vie, jusqu'à présent, s'est déroulée de manière plutôt satisfaisante. Mais doté d'un tel protecteur, l'existence d'Aaro va prendre un tout autre tour. Accidents de corbillard, incendie, commotions cérébrales en série... on se dit parfois qu'il vaudrait mieux ne pas avoir d'ange gardien plutôt que cet Ariel ! Car à multiplier gaffes, bêtises et erreurs en tous genres, il finit par attirer l'attention ! De Gabriel tout d'abord, qui le sermonne copieusement, puis d'un démon envoyé par Satan. Pour ce dernier, un ange capable de déclencher de telles catastrophes constituerait une bonne recrue !

Fantaisie et drôlerie sont au rendez-vous de ce roman d'A. Paasilinna qui, cependant, n'est pas ce qu'il a produit de meilleur. Mais ne boudons pas notre plaisir : les aventures de cet ange gaffeur constituent un moment de lecture agréable qui prête plus d'une fois à rire. On regrettera quand même le côté répétitif de la narration. Au final, en refermant le livre, on serait tenté de lever les yeux au ciel afin d'y détecter la présence éventuelle d'Ariel ou de l'un de ses collègues, en souhaitant surtout que - si ange gardien il y a - il soit réellement efficace et protecteur !


mercredi 1 avril 2015

Le poids des secrets

Aki Shimazaki
Babel

J'ai déjà évoqué ici mon goût pour ces auteurs japonais dont la simplicité d'expression n'a d'égal que la profondeur des sentiments et des émotions qu'ils transcrivent. Une fois encore, c'est ce qui me touche dans cette pentalogie d'Aki Shimazaki. "Le poids des secrets" est constitué de 5 petits récits publiés indépendamment les uns des autres mais que les éditions Babel ont eu la bonne idée de regrouper en un joli coffret. Outre ce critère esthétique, la démarche est judicieuse car ces 5 opuscules racontent la même histoire vue par un protagoniste différent. 

Le secret principal, c'est celui de Mariko qui a entretenu une relation adultère avec un homme marié, père d'une fillette. Ensemble, ils ont eu un enfant. Il ne fait pas bon être fille-mère dans la société traditionnelle japonaise de la première moitié du 20ème siècle, aussi Mariko ne se confiera-t-elle qu'au seuil de la mort, dans une lettre testament dévoilée dans le premier tome. Par une sorte de théorie des dominos, ce secret, qui pèsera de manière consciente ou inconsciente sur les différents narrateurs, en engendrera d'autres.

Outre les destins personnels révélés au fil des épisodes, Aki Shimazaki évoque également les heures sombres du Japon avec le tremblement de terre de Nagasaki, la seconde guerre mondiale, la bombe atomique... sans oublier des thèmes tels que le nationalisme, la discrimination, les préjugés ou l'exclusion.

Publiés sous un titre générique, chacun des 5 livres porte le nom d'un élément clé qui lui est propre - Camélia, Palourde, Hirondelle, Myosotis, Luciole -, annonçant d'emblée l'omniprésence de la nature et la dimension poétique, voire symbolique, de la narration. L'écriture simple mais délicate d'A. Shimazaki (dont on retiendra qu'elle a rédigé ce cycle en français) fait écho à la discrétion avec laquelle les différents personnages traversent leur existence, même lorsque le drame est à leur porte. 

Merci à Miss Sunalee qui m'a fait découvrir ce cycle de romans. 

dimanche 15 mars 2015

L'art d'écouter les battements de coeur

Jean-Philippe Sendker
Traduit à partir de la version anglaise de Kevin Williarty par Laurence Kiefé
Livre de Poche n° 33665


Julia, jeune avocate new-yorkaise, avait tout pour être heureuse jusqu'à ce que son père, avocat de renom, disparaisse sans laisser de trace. Parti un matin pour un soi-disant rendez-vous à Boston, Tin Win n'est jamais rentré chez lui. Après quelques recherches infructueuses, son passeport est découvert à Bangkok, non loin de l'aéroport. C'est la dernière trace de cet homme dont la vie semblait pourtant bien rangée.

Quatre ans après cette mystérieuse disparition, feuilletant divers papiers ayant appartenu à son père, Julia y découvre la trace d'un amour passé qu'il aurait entretenu avec une jeune femme, Mi Mi, alors qu'il vivait encore en BIrmanie. Curieuse d'en savoir plus, elle s'embarque pour le pays natal de son père, espérant le retrouver et comprendre pourquoi il a tout quitté du jour au lendemain, sans aucune explication. 

Dans le village où Tin Win a grandi, la jeune femme rencontre un vieillard qui semble la connaître et l'attendre. Incontestablement, il a des choses à lui révéler. D'abord méfiante et pleine d'a priori, Julia se laisse peu à peu prendre au récit de U Ba qui va lui révéler l'histoire étonnante de son père et de Mi Mi, son amour de jeunesse. Un amour profond entre une jeune fille handicapée, née avec des pieds difformes qui l'empêchent de marcher, et un jeune homme devenu aveugle après que sa mère l'eut abandonné. Un amour porté par la capacité très particulière de Tin Win d'entendre les battements de coeur des êtres vivants, hommes ou animaux, et d'en comprendre les émotions. Un amour brutalement interrompu par un oncle désireux d'améliorer son karma et qui, pour y parvenir, arrache Tin Win à son village pour lui offrir une nouvelle existence : une opération qui lui permet de recouvrer la vue et des études à l'étranger qui transforment le jeune homme en apparence, même si Mi Mi reste bien présente dans son coeur et ses pensées.

Sur fond de spiritualité orientale et de découverte d'un pays peu exploré par la littérature, J.-Ph. Sendker livre un roman "sentimental" teinté d'exotisme qui reste un peu convenu. Le style fluide contribue, certes, à une lecture agréable mais "L'art d'écouter les battements de coeur" ne fait pas partie de ces récits qui vous happent et ne vous lâchent plus, même lorsque la dernière page est tournée. Il s'en serait fallu de peu, sans doute, pour faire de ce roman autre chose qu'un "Best-seller international traduit dans 25 pays" qui s'inscrit dans un style littéraire bien dans l'air du temps, mêlant spiritualité, recherche de ses racines, développement personnel et bons sentiments. 

Ce livre m'a été proposé par Babelio dans le cadre de l'opération Masse Critique.


"Des robes de moines rouge foncé séchaient sur un fil..." (Monastère de Mahagandayon, Amarapura, Birmanie).

dimanche 1 mars 2015

La Concession du téléphone

Andrea Camilleri
Traduit de l'italien par Dominique Vittoz
Livre de Poche n°15052


Vigàta (Sicile), 1891. Filippo Genuardi, négociant en bois de son état, s'est mis en tête d'obtenir une ligne téléphonique à usage privé. Un simple courrier devrait suffire, mais voilà : au lieu d'envoyer sa demande au Ministère des Postes et Télégraphes, notre homme se trompe et l'expédie au Préfet dont il écorche de surcroît le nom. Sans réponse, Filippo, dit Pippo, insiste un peu lourdement, adressant une deuxième, puis une troisième missive au-dit Préfet dont l'attention se trouve soudain éveillée. Qui est ce Genuardi et pourquoi une telle obstination à obtenir une ligne téléphonique ? Sans compter cette erreur d'orthographe ? Serait-ce une moquerie... Il n'en faut pas davantage pour faire naître une véritable paranoïa dans le chef du haut-fonctionnaire !

A partir de là, Andrea Camilleri livre une histoire drôle et percutante où corruption, mouvements subversifs, tromperie et règlements de comptes s'entremêlent pour le plus grand plaisir du lecteur. De rebondissements en retournements de situations, l'auteur construit son récit sous forme de multiples échanges épistolaires où l'on croise tour à tour les signatures d'un caporal des carabiniers du roi, d'un préfet de police, d'un géomètre... et même d'un ministre, sans oublier quelques personnages un peu moins recommandables ! 

Encore faut-il s'y retrouver car de nombreux patronymes émaillent cette pantalonnade ! Alors un conseil : ne loupez pas la page 11. Elle vous sera bien utile si vous voulez éviter de confondre le préfet et le parrain de la mafia locale, ce qui - avouez-le - serait d'assez mauvais goût !


dimanche 22 février 2015

La Harpe de Birmanie

Michio Takeyama
Traduit du japonais par Hélène Morita
Editions du Serpent à Plumes, collection Motifs n°269


Birmanie, été 1945. Après la capitulation de leur pays, de nombreux soldats japonais, épuisés par les hostilités, sont faits prisonniers par les troupes britanniques. Les affrontements ont été rudes et beaucoup de combattants n'en ont pas réchappé. Toutefois, parmi ces hommes, une compagnie semble avoir mieux résisté que d'autres. Menée par un capitaine courageux et proche de ses subordonnés, elle a puisé sa force dans la pratique du chant : "C'est vrai que nous chantions. Dans les moments heureux ou dans les moments difficiles, nous chantions. Peut-être notre état d'esprit était-il tel parce que nous ne savions pas quand se produirait le combat suivant ou quand nous-mêmes allions mourir. En tous cas, tant que nous étions encore vivants, nous voulions au moins accomplir quelque chose de beau et nous chantions de tout notre coeur".

Pour accompagner cette étrange chorale capable d'interpréter des compositions complexes à plusieurs voix, le caporal Mizushima s'est improvisé harpiste. Au moyen d'un instrument fabriqué avec les moyens du bord, il produit des sons mélodieux, propices à accompagner le chant de ses camarades. Rapidement, Mizushima devient le personnage central du récit. Parti en éclaireur dans les forêts birmanes pour rejoindre d'autres soldats japonais, il disparaît, laissant ses camarades faits prisonniers dans une réelle détresse. Qu'est-il devenu ? Et qui est ce moine qui apparaît de temps à autres, dont les traits évoquent ceux du soldat manquant, qui semble investi d'une mission importante ? 

Il faudra attendre le rapatriement de la compagnie au Japon pour que s'éclaircisse le mystère de la disparition du caporal et qu'apparaisse au grand jour la mission que s'est assignée le moine : enterrer les corps des soldats japonais abandonnés dans la jungle, leur donner une sépulture digne de ce nom et prier pour le repos de leur âme.

Ce livre m'a touchée et émue par la poésie qui s'en dégage, même au milieu des champs de batailles. Ecrit en 1947, s'inspirant de récits authentiques, il pose un regard plein d'humanité sur des peuples que tout oppose alors qu'ils ne sont, en réalité, guère différents. La place qu'occupe la musique, fil conducteur du récit, n'est pas sans rappeler l'épisode de la trêve de Noël qui eut lieu sur nos champs de bataille à l'hiver 1914. 

Porté à l'écran par Kon Ichikawa en 1956, le roman de Michio Takeyama témoigne de la rudesse de la guerre tout en se présentant comme un formidable hymne à la paix et à l'unité. En cela, il se révèle d'une absolue nécessité et d'une grande actualité.



Bande-annonce du film de Kon Ichikawa


dimanche 15 février 2015

Le marcheur de Fès

Eric Fottorino
Folio n°5886


Eric Fottorino aurait pu porter un autre patronyme si sa mère avait épousé l'homme qu'elle aimait et dont elle était enceinte, un médecin juif marocain venu terminer ses études en France. Mais dans les années '60, une telle situation provoquait encore des drames dans les milieux bien-pensants et la jeune femme, répudiée par sa famille, se retrouva seule avec son fils. Quelques années plus tard, elle se maria avec Michel Fottorino qui donna son nom à Eric.

La question de l'identité et de la filiation n'a cessé de tarauder l'auteur. En 2012, il décide de partir avec son père biologique à Fès, là où ce dernier vécut sa jeunesse. Mais la maladie est là, qui empêche le vieil homme de se déplacer, aussi Eric Fottorino entreprend-il seul ce pèlerinage. 

Dans l'ancien quartier juif du Mellah qui abritait quelque 20.000 Juifs du temps du protectorat français, Eric parvient à retrouver quelques âmes qui ont connu son père et sa famille. De témoignages en souvenirs, il retrace les contours de l'histoire de Moshé Maman, devenue Maurice Maman, son père, mais aussi celle de Ninette, la soeur de son père décédée à 17 ans dans un accident de voiture. Peu à peu, au-delà de l’histoire individuelle se dessine en filigrane le destin des Juifs marocains dont la plupart ont émigré.

L'itinéraire auquel nous convie Eric Fottorino n'a rien de touristique. S'il flâne au gré des ruelles de Fès, c'est pour y (re)trouver des émotions qui transparaissent à la fois avec force et retenue. Nombreux sont les pavés qui portent encore les traces de pas de son père. Jusqu'à ce qu'il se rencontre lui-même, à l'improviste : une photo de son sosie dans un petit musée juif lui permet enfin de comprendre pourquoi, si longtemps, il s'est senti comme un imposteur à sa propre existence. En renouant avec son père, c'est aussi sa propre judaïté qu'il se réapproprie.



dimanche 8 février 2015

Une odeur de gingembre

Oswald Wynd
Traduit de l'anglais par Sylvie Servan-Schreiber
Folio n°4406


La jeune Mary Mackenzie a à peine 20 ans lorsqu'elle quitte son Ecosse natale et embarque pour la Chine afin d'y épouser Richard Collinsgsworth, un attaché militaire britannique auquel elle est fiancée. Dès la traversée, le voyage met à mal les certitudes de la jeune femme qui prend le parti de confier ses interrogations et ses états d'âme à un journal. Nous sommes le 9 janvier 1903 lorsque Mary écrit ses premières lignes ; les dernières sont datées de 1942. 

Entre ces deux dates, Mary écrit avec plus ou moins de régularité, en fonction des événements qui surviennent dans son existence. Une existence qui est tout sauf un long fleuve tranquille. L'adaptation à Pékin, au lendemain de la Révolte des Boxers, se révèle à la fois difficile et passionnante pour la jeune femme dont le comportement s'éloigne rapidement de ce que l'on attend traditionnellement d'un membre de la communauté européenne. Souvent seule au gré des missions accomplies par son époux, Mary ne tarde pas nouer une relation avec un officier japonais dont elle aura un enfant. Rejetée par son mari, mise au ban de la société britannique mais aussi chinoise, Mary fuit la Chine pour le Japon où de nouvelles péripéties l'attendent. Au gré des réflexions inscrites dans son journal mais aussi de lettres qu'elle adresse à sa mère restée en Ecosse et à Marie, une expatriée avec laquelle elle s'est liée d'amitié, c'est à la fois l'histoire de son émancipation et de ses nombreux combats qu'elle nous conte, mais aussi celle de la Chine, puis du Japon, sur fond de conflits européens qui ne tardent pas à avoir des répercussions sur le continent asiatique et sur la vie des expatriés.

Dès les premières pages, Mary se révèle être un personnage très attachant. Cette forte personnalité, capable de s'affranchir d'une éducation traditionnelle pour lutter de toutes ses forces contre une société emplie de préjugés, capable aussi d'assumer les conséquences de ses choix, fussent-elles dramatiques, n'en reste pas moins fidèle à ses idées et à ses amitiés à travers le temps. Son intelligence, sa volonté de comprendre le monde dans lequel elle évolue et de défendre son indépendance dans une société où la femme n'existe que pour et par sa famille en font un personnage extrêmement contemporain et une "compagne de voyage" que l'on quitte à regret !



dimanche 25 janvier 2015

Petit art de la fuite

Enrico Remmert
Traduit de l'italien par Nathalie Bauer
10/18  n°4821


Il n'est pas toujours facile d'être jeune ! C'est ce que pensent Vittorio, Francesca et Manuela, trentenaires un rien déboussolés. Le premier est violoncelliste et hypocondriaque. Vivant à Turin, il doit rejoindre Bari où il est engagé pour une série de concerts. Vittorio est amoureux de Francesca qui ne l'aime plus depuis qu'elle s'est entichée d'un de ses collègues, vétérinaire. Ne sachant comment avouer son désamour, elle décide d'accompagner le jeune homme à Bari, espérant trouver le bon moment et les bons mots... Manuella, quant à elle, est gogo-danseuse à certaines heures et monitrice d'auto-école à d'autres. Elle n'a qu'un désir : fuir un compagnon violent à qui elle a volé un tableau pour se venger de ses mauvais traitements. Alors, pourquoi ne pas conduire ses amis à Bari au volant de la Baronne, une fiat punto à double commande qui affiche bon nombre de kilomètres au compteur et un sérieux "souffle au coeur" !

Voici donc le trio sur les routes d'Italie pour un road-trip déjanté où rien ne se passe comme prévu. Au gré de rencontres qui s'enchaînent et ne se ressemblent pas, le paysage défile, ponctué par les crises de panique de Vittorio, les incertitudes de Francesca et les regards dans le rétroviseur de Manuella qui cherche à tout prix à semer la Range Rover blanche de son ami...

Récit à trois voix où chaque personnage s'exprime tour à tour, "Petit art de la fuite" est à la fois léger et grave, drôle et grinçant, loufoque et émouvant. L'auteur, écrivain mais également scénariste et réalisateur, a le sens du rythme, de la formule et de l'image : le résultat est agréable à lire et fait penser à une comédie douce-amère : on y croise des personnages à la recherche du bonheur qui se dévoilent peu à peu, découvrent à quel point ils ont besoin les uns des autres... tout en restant, à leur manière, des ados attardés que les exigences de la vie bousculent et font grandir.