Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

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dimanche 3 août 2014

Les larmes du seigneur afghan

Campi / Zabus / Pascale Bourgaux
Aire Libre


J'ai beaucoup d'admiration pour les femmes grands reporters et plus encore pour celles dont le métier s'exerce dans des coins du globe où le statut de la femme est tout sauf enviable. Parmi ces journalistes de talent, Pascale Bourgaux m'a toujours impressionnée par la qualité de son travail et sa profonde humanité. Grande connaisseuse de l'Afghanistan où elle s'est rendue à de nombreuses reprises, elle témoigne ici de l'évolution d'un village du nord du pays qui fut un modèle de la résistance anti-talibane.

Mars 2010 : bien que la RTBF lui ait fortement déconseillé d'entreprendre le voyage pour des raisons de sécurité, P. Bourgaux s'embarque en direction de Kaboul avant de rejoindre Dasht-E-Qaleh et d'y retrouver Mamour Hasan, un chef de guerre chez qui elle a été hébergée à de nombreuses reprises lors de ses reportages. Durant toute la guerre, l'homme s'est illustré par sa lutte contre le régime taliban et la journaliste a noué avec lui et ses proches une relation de confiance importante pour exercer à bien son métier. 
Pourtant, dès son arrivée, la reporter perçoit que les choses ont changé. Même si le vieil homme conserve son autorité, certains dans son village et parmi ses très proches, déçus par le pouvoir mis en place après le départ des Américains, se tournent vers l'ancien ennemi. Comment les choses ont-elles pu changer à ce point ? L'interrogation et l'investigation menées par la journaliste se doublent de ses propres questionnements par rapport à son métier, à ses peurs parfois, à la façon dont on peut rendre compte, en occident, de situations dont la complexité fait que nous en avons souvent une vision tronquée, imprégnée de notre conception occidentale de la société, oubliant souvent la réalité locale qui rend le quotidien beaucoup plus nuancé qu'il ne nous paraît.

A l'origine de cette bande dessinée, la réalisation d'un documentaire tourné par la journaliste. En lui offrant un prolongement graphique, nul doute que P. Bourgaux, Th. Campi et V. Zabu toucheront un plus large public, sans doute différent aussi. A classer au rang d'autres ouvrages du genre consacrés à l'Afghanistan comme l'excellent travail de Guibert, Lefèvre et Lemercier, pour l'album Le Photographe.


dimanche 9 février 2014

Maudit soit Dostoïevski

Atiq Rahimi
Folio n°5496


Depuis la parution de son premier roman, Terre et cendres, en 2000, Atiq Rahimi n'a de cesse de témoigner de la situation dramatique que traverse son pays, l'Afghanistan. Il n'y déroge pas avec Maudit soit Dostoïevski, s'interrogeant sur ce que représente un crime en tant de guerre.

Kaboul, années nonante. La ville, en pleine guerre civile, tremble régulièrement sous les explosions de roquettes. Comme nombre de ses concitoyens, Rassoul tente de survivre au milieu du chaos. Son existence bascule le jour où il décide de tuer Nana Alia, une usurière proxénète à ses heures qui n'a pas hésité à prostituer Souphia, sa fiancée. Mais n'est pas criminel qui veut : alors qu'il vient de fracasser le crâne de la vieille femme à coup de hache, Rassoul se trouve soudain "habité" par Raskolnikov, le héros de Crime et châtiment, et sans même prendre le temps de dérober l'argent et les bijoux de la victime, il s'enfuit. Effaré par le crime qu'il vient de commettre, le jeune homme perd la voix. Condamné au mutisme, il est d'autant plus attentif à ce qui se dit autour de lui et guette l'annonce de la mort de l'usurière, persuadé que dès que le corps sera trouvé, la nouvelle se répandra dans le quartier. Or, personne n'en parle ; tout au plus dit-on qu'elle est partie... De son cadavre, pas de trace. De la hache non plus, pas plus que de l'argent et des bijoux. 

Commence alors pour Rassoul un long et douloureux chemin où le remord et la culpabilité se mêlent à des épisodes hallucinatoires. Hanté par son geste, il veut se dénoncer, être jugé pour ce crime qui n'est ni politique, ni religieux mais d'ordre personnel. Or, dans une ville en proie à la violence, où les morts ne se comptent plus, personne ne semble prendre au sérieux son méfait : "Tuer une maquerelle n'est pas un crime dans notre sacro-sainte justice". Cet acte isolé et individuel représente bien peu de chose face aux héros et aux martyrs prêts à mourir au nom d'un idéal collectif.

Ce qui me touche dans ce roman comme dans Terre et cendres ou dans Singué Sabour, c'est le regard porté par Atiq Rahimi sur ses personnages. Au milieu du drame, de la mort, de la violence... il parvient à révéler leur part d'humanité ou ce qu'il en reste, même s'il ne s'agit que d'une étincelle. Au-delà des destins individuels, c'est l'histoire de son pays qu'il nous délivre et, en filigranes, celle de sa famille : de ses parents mais surtout de son frère aîné, communiste, mort à la guerre. Faire le deuil des êtres aimés mais aussi de ses repères : voilà peut-être ce qui pousse l'auteur à saisir la plume !


dimanche 24 février 2013

Opium Poppy

Hubert Haddad
Folio n° 5516

C'est un roman qui ressemble à un reportage. Un de ces sujets du "20 heures" où, entre la poire et le fromage, le présentateur prévient : certaines images pourraient heurter les âmes sensibles. Et se déroulent, devant nos yeux, les séquences d'une vie : celle d'Alam, dit l'Evanoui. Un gamin de 12 ans pris entre la guerre et le trafic d'opium, dans un Afghanistan dominé par des talibans qui ne respectent rien, à commencer par l'enfance.

Dans ce pays où seule la culture du pavot permet aux paysans de survivre, la fleur du sommeil est l'objet de luttes intestines entre chefs tribaux convertis en narcotrafiquants.  Une arme à la main, Alam avance au milieu d'une histoire qui le dépasse et dont chaque étape lui fait perdre un peu de son innocence. Des hauts plateaux afghans à Paris où il se réfugie au terme d'un long périple, nous suivons l'histoire de cet enfant-soldat dont le destin est marqué par la violence et la mort.

Hubert Haddad ne fait aucune concession : son écriture rocailleuse comme les montagnes afghanes, son regard acéré comme la lame d'un poignard et son propos nous interpellent directement, nous mettant face à la réalité de notre société. Car en plus de nous confronter à l'horreur des enfants-soldats, l'auteur dénonce également la situation dramatique des véritables réfugiés politiques, ceux qui viennent de pays où les conflits sont tels qu'ils n'ont aucune chance de survie et qui, lorsqu'ils arrivent dans nos contrées où l'on brandit l'étendard des Droits de l'Homme, n'ont d'autre choix que de se cacher et de commettre des délits pour survivre.

"Il combattait l'étranger avec ses frères pachtounes et surveillait du bon oeil la culture des pavots" (© Syvlie Strobl)