Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 22 juin 2014

La Reine des lectrices

Alan Bennett
Traduit de l'anglais par Pierre Ménard
Folio n°5072


Vous aimez lire ? Moi aussi ! Jusque là, rien d'étonnant. Mais saviez-vous que Sa Gracieuse Majesté, la Reine Elisabeth en personne, délaisse ses obligations au profit de la lecture ? Bien sûr, cela paraît improbable. Pourtant, on raconte même que, lors d'un dîner officiel, elle a interrogé le président de la République française sur Jean Genet, cherchant à connaître son point de vue sur l'auteur, lequel président s'est trouvé bien en peine de répondre...

Je vous rassure : je ne viens pas de refermer un magasine people, mais de terminer "La Reine des lectricesd'Alan Bennett. L'auteur anglais nous livre un récit pétillant et quelque peu ironique sur les désordres que peut induire le goût des livres dans l'existence d'une personne à la vie bien réglée.

Imaginer la Reine Elisabeth se plonger avec délice dans Proust, Jane Austen ou les soeurs Brontë sous le regard étonné dans un premier temps, puis effaré de ses collaborateurs est tout bonnement jouissif. Mais au-delà de la fable drôle et (im)pertinente, l'auteur nous livre un véritable plaidoyer pour la lecture grâce à ce personnage pour le moins inattendu qui découvre que "les livres ne se souciaient pas de leurs lecteurs, ni même de savoir s'ils étaient lus. Tout le monde était égal devant eux, y compris elle". Sans doute cette découverte, tout comme celle des sentiments divers qui émaillent les romans qu'elle lit, sont-elles à l'origine de ce petit supplément d'âme qui s'empare de la souveraine. De lectrice balbutiante, elle devient lectrice confirmée, annotant, élaborant peu à peu des réflexions personnelles qui débordent largement le cadre de ses lectures... jusqu'à se rendre compte que la littérature ne lui suffit plus et qu'une envie nouvelle s'est emparée d'elle : l'écriture.

Que vous partiez en vacances ou que vous profitiez de votre jardin durant l'été, ne faites pas l'impasse sur ce petit livre qui vous procurera plaisir et détente et qui vous confortera aussi de l'absolue légitimité qu'il y a à se plonger dans un livre. Je suis d'ailleurs certaine que, comme her Majesty, vous avez fait depuis longtemps cette constatation : "chaque livre l'entraînait vers d'autres livres, (que) les portes ne cessaient de s'ouvrir, quels que soient les chemins empruntés, et (que) les journées n'étaient pas assez longues pour lire autant qu'elle l'aurait voulu". 
Mes journées à moi sont en tous cas trop courtes et les tentations littéraires abondantes : nombreux sont les livres qui m'attendent. Et vous, qu'allez-vous lire cet été ?

"Elle envisageait à présent avec un certain effroi l'incessante succession des tournées, des voyages officiels..." (Londres, Madame Tussaud © Sylvie Strobl)

dimanche 15 juin 2014

L'archéologue

Philippe Beaussant
Gallimard - collection "L'imaginaire"
N°191


Sur une terrasse au bord du Nil, un vieil homme attend la mort. Alors qu'il remuait les pierres de la frise aux cobras, tel un éclair la morsure du serpent l'a surpris ; elle ne lui laisse aucune chance. Sachant ses heures comptées, il égraine ses souvenirs. Lui, l'architecte que rien ne destinait à passer sa vie au milieu de monuments en ruines, fait revivre le passé.

De l'occident à l'orient, sa vie a la couleur de la pierre, le parfum des rencontres, le son d'un chalumeau. Une petite église romane quelque part en France, un temple envahi par la végétation au Cambodge, un village perdu au nord du Laos, une maison pleine d'instruments de musique à Bali, et partout des visages : celui de la femme aimée, d'un conteur cambodgien, d'un musicien allemand, d'un vieux nubien... autant d'épisodes qui s'enchaînent, se croisent, se bousculent en attendant le dernier souffle.

De ces rencontres, de ces pays, l'archéologue conserve un trésor : des flûtes dont chacune a une histoire qu'il veut transmettre avant de mourir. "Voyez-vous cette petite flûte que je tiens dans ma main ? dans le coffre à droite de ma table, vous trouverez les autres. Je vous les laisse. Je les aimais. Ne les dispersez pas. J'ai joué au long de ma vie sur toutes ces flûtes, sauf une, qui est brisée : elle est en terre cuite, elle a été trouvée à Tletecpatl, dans un tumulus...".

En nous parlant de pierres et de musique, l'archéologue nous parle aussi d'hommes et de civilisations, de mythologie, de rites et de traditions. Il suffit de se laisser porter par ses mots pour, soudain, se sentir ailleurs et contempler "un temple dans la forêt, des débris de pierres en désordre au bord du Nil".


Le rives du Nil © Sylvie Strobl


mardi 10 juin 2014

L'embellie

Audur Ava Ólafsdóttir
Traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson
Points n°3239


"Heureux au jeu, malheureux en amour" : ce dicton pourrait s'appliquer sans  peine à la narratrice de L'Embellie, une trentenaire traductrice-rédactrice-correctrice que son compagnon vient de quitter. Quasi simultanément, elle apprend qu'elle a gagné le gros lot à la tombola des sourds et muets, et qu'elle est également bénéficiaire d'un autre gros lot à la loterie islandaise. 
Un malheur - ou un bonheur, c'est l'histoire qui nous l'apprendra - n'arrivant jamais seul, sa meilleure amie doit faire un séjour à l'hôpital et n'a d'autre solution que de lui confier son fils Tumi, un gamin de 4 ans presque sourd et affublé de lunettes à verres épais comme des loupes. Or s'il y a bien une chose qui manque tout à fait à notre narratrice, c'est l'instinct maternel. C'est en partie pour cela que son compagnon l'a quittée. 

Tant de bouleversements en si peu de temps mettraient KO bon nombre d'individus, mais notre héroïne a pour habitude de prendre la vie comme elle vient, abordant les événements avec un perpétuel décalage. Son incapacité à faire des plans ou des projets fait qu'elle est toujours disponible pour accepter ce que la vie lui réserve et suivre ses envies.  Et son envie, en ce moment précis, c'est d'effectuer un voyage en Islande, une sorte de Road Trip dans lequel elle embarque Tumi ; singulier équipage que cette femme totalement inexpérimentée avec les enfants et ce petit bonhomme lunaire en manque de père, toujours prêt à s'attacher à la première jambe d'homme qu'il croise...

Au fil du périple, dans une Islande qui devrait être enneigée mais qui doit affronter des pluies diluviennes, nos deux voyageurs vont de rencontre en rencontre : un choeur de chanteurs estoniens, un vétérinaire, un Père Noël, mais aussi des moutons, un faucon dans un carton, des phoques... et des souvenirs qui affleurent et qui ponctuent le récit de quelques paragraphes en italique. 

Avec drôlerie et un rien d'humeur fantasque, l'auteur nous conte ce voyage au cours duquel une relation tendre se noue entre la jeune femme et son petit passager. C'est léger sans être insipide, émouvant sans être sirupeux, grave sans être dramatique... Dans la même veine que "Rosa Candida" déjà présenté sur ce blog, la botanique en moins, la gastronomie en plus puisque le livre se termine par "quarante-sept recettes de cuisine et une recette de tricot" !