Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 25 novembre 2012

Jack Rosenblum rêve en anglais

Natasha Solomons
Traduit de l'anglais par Nathalie Peronny
Livre de Poche  n°32422


Lorsqu'il débarque à Londres en août 1937 après avoir quitté l'Allemagne nazie où sa sécurité et celle de sa famille n'est plus assurée, Jack Rosenblum n'a qu'un souhait : devenir un parfait Britannique. Aussi est-il ravi, à son arrivée au port d'Harwich, de recevoir une brochure intitulée "Pendant votre séjour en Angleterre : informations utiles et conseils amicaux pour tous les réfugiés" ; elle dresse la liste des comportements indispensables à adopter pour se fondre dans la société londonienne.

Très rapidement, Jack apprend l'anglais. Il devient un auditeur fidèle des bulletins météorologiques qu'il écoute religieusement - "ce rendez-vous quotidien lui donnait le sentiment d'appartenir à un peuple". Et suite à un banal achat de moquette pour décorer son appartement, il développe une activité commerciale qui, en peu de temps, fait de lui un riche marchand. La vie semble donc belle pour Jack qui regarde en permanence vers l'avant, alors que sa femme entretient la mémoire du passé et des traditions, et se complaît dans le chagrin.

Bientôt, il ne manque plus qu'une chose à notre héros pour que son bonheur soit complet : devenir membre d'un club de golf. Reconnaissance suprême pour tout Anglais qui se respecte. Et c'est là que le bât blesse : si ses collègues et amis sont prêts à inviter Jack à leur table, aucun en revanche ne semble vouloir ou pouvoir faciliter son accès au Club tant convoité. Qu'à cela ne tienne ! Puisqu'aucun club de golf ne veut de lui, Jack construira son propre green. Il se lance alors dans une aventure un peu folle, quittant Londres pour la campagne du Dorset où il se heurte très vite à de nombreuses difficultés...

"Jack Rosenblum rêve en anglais" est le premier roman de Nathasha Solomons qui s'est inspirée, pour l'écrire, de l'exil de ses grands-parents. Humours juif et anglais s'entrecroisent au fil des pages, constituant un récit rythmé et soutenu. On rit des péripéties vécues par Jack, mais on s'émeut aussi à voir sa femme souffrir de son entêtement et s'étioler dans un environnement qu'elle n'a pas choisi. Et surtout, jamais on ne s'ennuie en compagnie de ce personnage drôle, attachant... mais aussi exaspérant, dépeint avec beaucoup de tendresse par l'auteur.

Londres, septembre 2005 (© Sylvie Strobl)


dimanche 18 novembre 2012

Les amours de voyage

Yaël König
Editions Yago


Ah, les amours de voyage... Je vous entends soupirer, imaginant une plage de sable fin, un(e) bel(le) inconnu(e)... Sans doute ! Mais les amours de voyage croisées dans le livre de Yaël König sont du genre à porter des chaussures de rando, du matériel photographique de pro autour du cou, voire une mitraillette. Elles s'inscrivent dans la droite ligne de la passion dévorante qui saisit Pierre Loti lorsqu'il rencontra Kadidjé en Turquie, comme en témoigne son très beau livre paru en 1879, Azyadé
Ce sont, là aussi, des témoignages que l'auteur nous invite à partager : quinze au total, qui nous mènent du Sikkim au lac Titicaca, de Téhéran aux îles Samoa... et qui ont pour point commun la rencontre fulgurante de celui ou de celle qui semble être le ou la parfait(e) alter ego.

Certaines de ces rencontres débouchent sur un futur, d'autres sur des souvenirs, d'autres encore sur le sentiment profond que la distance et le dépaysement modifient le jugement, "que l'amour ne s'exporte pas facilement, qu'une douce odeur de peau en Italie se rancit à Paris", comme l'écrit Catherine Domain, auteur de deux récits. 

Outre que chaque histoire tire sa propre conclusion, chacune a sa propre couleur, son propre parfum, d'embruns ou de terres arides. Amours de jeunesse ou de maturité, toutes  ont pour point commun d'avoir laissé des traces dans la vie de celles et ceux qui les ont vécues. Comme Salomé Dayan qui, au crépuscule de son existence, garde à son doigt "un anneau d'or très fin, gravé en hébreu", souvenir d'un militaire rencontré dans un Kibboutz, épousé le jour même avant qu'une mission à Gaza ne la laisse, à peine mariée, déjà veuve.


Lac de Tibériade, mai 2006 (© Sylvie Strobl)


dimanche 11 novembre 2012

Kampuchéa

Patrick Deville
Points n°2859


En 1860, alors qu'il chasse le papillon au milieu de la jungle cambodgienne, Henri Mouhot - modeste lépidoptériste français - découvre les ruines de la formidable cité d'Angkor. Même si ce sont "les bestioles" qui l'intéressent, Mouhot entreprend d'effectuer un relevé des monuments, prenant peu à peu conscience qu'il s'agit là d'une oeuvre "qui n'a jamais eu son équivalent sur le globe". 
Il y a dans l'aventure de cet homme à la fois tant d'innocence et un tel impact sur l'histoire du Cambodge et de ses relations avec la France que Patrick Deville n'hésite pas à revoir la ligne du temps et à "remplacer 1860 par l'année Mouhot, l'année zéro, à partir de laquelle tout événement serait daté av. H.M. ou apr. H.M.".

Un siècle plus tard, le 17 avril 1975, l'Angkar - parti communiste du Kampuchéa dirigé par Pol Pot - vide Phnom Penh de ses habitants en 24 heures. Près de deux millions de Cambodgiens meurent durant les 4 années qui suivent et ceux qui survivent restent marqués à jamais par les conditions de vie atroces imposées par les Khmers rouges.

Patrick Deville s'empare de ces deux événements au moment où s'ouvre à Phnom Penh le procès des Khmers rouges et de Douch, figure emblématique du régime. Il nous mène à travers le temps et l'histoire du pays, mais plus largement de l'Indochine, dans une sorte de kaléidoscope de visages, d'images... où l'on croise au hasard d'une boucle du Mekong Loti, Conrad ou encore Malraux.

Considéré comme un roman, Kampuchéa se présente avant tout comme un récit éclaté : à la manière d'un puzzle composé d'une cinquantaine de chapitres, il dessine peu à peu un visage du Cambodge. Encore faut-il, pour en apprécier la lecture, avoir un minimum de repères historiques et chronologiques. Et encore... Qui n'a pas emprunté des chemins de traverse, sans savoir où ils allaient le mener ? "Ne demande pas ton chemin à quelqu'un qui le connaît, tu risquerais de ne pas te perdre" (Rabbi Nachman de Breslau).

Ce 5 novembre 2012, Patrick Deville a été couronné par le prix Femina pour son roman "Peste et choléra" publié au Seuil.

Si l'on souhaite approfondir sa connaissance du Cambodge et surtout de cette période tragique où le pays fut dominé par les Khmers rouges, on lira aussi "Le portail" de François Bizot : cet ethnologue français fut arrêté parce que soupçonné d'être un agent de la CIA et détenu durant trois mois dans la jungle. Interrogé à de multiples reprises par Douch, il sera relâché et témoignera des années plus tard de son expérience et de la curieuse relation qu'il noua avec son geolier. (Folio)

Dans l'enceinte d'une pagode de Phnom Penh, mars 2007 (© sylvie Strobl)

dimanche 4 novembre 2012

Sept histoires qui reviennent de loin

Jean-Christohe Rufin
Folio n°5449


Plutôt que les histoires, ne serait-ce pas les personnages de ces sept nouvelles qui reviennent de loin ? Pas seulement d'un lointain géographique, mais d'un moment où la vie bascule, où les certitudes s'envolent et où les sentiments jaillissent, au-delà de la raison.

Le recueil s'ouvre sur l'histoire de Ku-Min, fille d'un haut dignitaire kirghize passionnée de culture française, qui découvre, lors d'un séjour à Paris, que la langue qu'elle a étudiée et parle couramment, et qu'elle croit être le français, n'est comprise de personne. Il faudra l'intervention providentielle d'un ambulancier appelé en renfort afin de maîtriser sa colère pour découvrir que son soi-disant français est du pur hongrois ! Et de comprendre que l'homme que son père a engagé pour lui apprendre le français - et qui en a profité pour la séduire - n'était qu'un escroc magyar s'étant emparé de la situation pour échapper aux geôles kirghizes !

Dans "Les naufragés", Rufin nous mène sur une plage paradisiaque de l'Ile Maurice où les habitants - des Français installés là de longue date et qui savourent le calme et la solitude du lieu - ont la désagréable surprise de découvrir, un matin, qu'une statue de Shiva a fait son apparition sur "leur plage". En peu de temps, c'est tout un temple qui sera érigé et qui viendra définitivement mettre un terme à l'existence paisible de ces Paul et Virginie des temps modernes.
"Le refuge Del Pietro", dans les Dolomites,  voit l'éclatement d'une famille partie à l'assaut des cimes sous la conduite d'un pater familias despote ; "Nuit de garde" nous rappelle qu'avant d'être écrivain, Rufin fut médecin et que pour tout jeune interne, constater un décès reste une expérience humain inédite...

De tous ces récits et d'autres qui nous mènent au Mozambique ou encore au Sri Lanka, le plus touchant est peut-être le dernier, "Train de vie", qui se déroule simplement dans un train corail arrêté en pleine campagne quelque part entre Paris et les Ardennes : le narrateur y fait la connaissance d'une jeune malienne désespérée par cette panne qui risque de mettre à mal ses projets amoureux.

Sept récits pour autant de rencontres : nul doute que Rufin le médecin, l'humanitaire, le diplomate... a puisé dans ses souvenirs pour nous livrer ces nouvelles : un art auquel il se frotte pour la première fois et qui nous prouve, une fois encore, à quel point il fait partie des incontournables de la littérature française.

Shiva, temple de Tanjore (Inde du sud), février 2009 (© Sylvie Strobl)


samedi 3 novembre 2012

Mangue amère

Bulbul Sharma
Traduit de l'anglais (Inde) par Mélanie Basnel
Picquier poche



Après "La colère des aubergines", Bulbul Sharma nous revient avec un recueil d'histoires colorées et épicées, à l'image des marchés indiens.

Dans une cuisine, au milieu de légumes et d'aromates, huit femmes sont réunies afin de préparer le repas d'anniversaire des funérailles d'un certain Bhanurai Jog. Comme le veut la tradition en ces circonstances, les domestiques n'ont pas le droit de participer aux préparatifs ; c'est aux femmes de la famille qu'il revient d'assurer la découpe, la cuisson et le service.
Alors, pendant qu'elles ont les mains occupées par l'épluchage et la préparation des aubergines et autres potirons, ces femmes se racontent des histoires. Tour à tour, elles prennent la parole pour livrer une anecdote, un souvenir... et dévoiler ainsi leur quotidien  dans la société traditionnelle indienne où une bonne épouse se doit de garder les yeux baissés, d'être au service de sa belle-mère... et de savoir cuisiner !

De Maya, trop belle et peu soumise à Nanni, "esclave" domestique de sa belle-famille, en passant par les tantes mortes qui se manifestent en rêve ou Jamini, la mère mal aimée qui rêve de retrouver l'amour de son fils en lui cuisinant ses mets préférés, toutes les femmes croisées dans ces récits nous éclairent sur une Inde tiraillée entre tradition et modernité. 
Grinçants, tragiques, macabres, drôles... les récits qui composent "Mangue amère" s'égrènent comme les ingrédients d'un chutney aigre-doux. 

Pondichéry, février 2009 (© Sylvie Strobl)




vendredi 2 novembre 2012

L'enfant bleu

Henry Bauchau
Babel n°727


Je suis sortie "toute chose" du très beau roman d'Henry Bauchau, L'enfant bleu. Bien qu'il ne nous emmène pas dans des contrées lointaines - d'un point de vue géographique -, c'est quand même à un voyage qu'il nous convie. Un voyage dans les méandres de l'esprit d'Orion, un adolescent handicapé suivi par Véronique, une "madame psy" employée dans un centre de jour.

Orion est un adolescent qui se sent possédé par des démons. Ils ne sont pas là en permanence, mais il les sent souvent à l'affût, prêts à s'emparer de son esprit et de son corps. Dans ces moments-là, il ne sent plus sa force et tente d'expulser, par la violence physique, ceux qui l'habitent. Mais Orion, c'est aussi - et surtout - un imaginaire débordant que Véronique va rapidement découvrir et encourager. Si le jeune homme éprouve des difficultés à mettre des mots sur ce qu'il voit dans sa tête, il n'a aucun problème, en revanche, à dessiner, mettre des couleurs, des formes... Et si l'avenir de cet ado en souffrance passait par l'art ? Véronique en a la conviction, même si elle sait que le chemin sera long, difficile, douloureux. D'autant qu'il fait écho à un chemin plus personnel.

Orion dessine, peint, sculpte, Véronique, elle, écrit. Et son compagnon, Vasco, compose. Avec souffrance et détermination. Cest là un des grands thèmes de ce roman : l'art comme moyen d'expression, mais aussi d'accomplissement. Orion dessine des îles, Véronique s'en inspire pour écrire des poèmes que Vasco met en musique. Le tout dans une ronde où ces différentes destinées sont intimement liées.

Au fil des pages et des rencontres entre Orion et Véronique, Bauchau nous mène dans les recoins de la psychose du jeune garçon avec le regard et la connaissance propre à cet écrivain-psychiatre. Mais point de grande théorie : l'auteur nous confronte à la vie, à la souffrance, à la peur... et ses mots résonnent bien après ses derniers mots.

Henri Bauchau est décédé le 21 septembre dernier, à l'âge de 99 ans. Ce grand écrivain belge, venu à la littérature "tardivement" (il a publié son premier livre à l'âge de 45 ans) se disait devenu écrivain "par espérance". Un Fonds lui est consacré à l'Université Catholique de Louvain-la-Neuve.

La bâtarde d'Istanbul

Elif Shafak
Traduit de l'anglais par Aline Azoulay
10/18 - Domaine étranger - n°4154


Asya, jeune stanbouliote née de père inconnu, vit dans un milieu exclusivement féminin où grand-mère, mère et soeur composent une mosaïque détonante ; Armanoush, jeune arménienne, vit quant à elle aux Etats-Unis  avec sa mère et son beau-père qui n'est autre que l'oncle exilé d'Asya.

Plus rien n'unit ces deux familles. Le beau-père d'Armanoush a quitté ses proches et son pays afin de fuir la malédiction qui touche les hommes de la famille, tous condamnés à mourir jeunes. Aussi, lorsque Armanoush décide d'aller à la rencontre de ses racines turques, le fait-elle sans en avertir ses parents.  C'est avec la complicité de sa cousine Asya qu'elle s'installe à Istanbul et fait connaissance de la famille de son beau-père. Non sans quelques difficultés car l'arrivée de cette jeune fille et ses interrogations sur l'histoire familiale ravivent des souvenirs douloureux pour tous, inscrits dans ce passé collectif tragique qu'est le génocide arménien. Evenements historiques et familiaux s'entrecroisent dans cette rencontre entre communautés tiraillées par le poids du passé.

Elif Shafak, qui signe ce magnifique roman, a été traduite devant la justice turque pour oser évoquer la tragédie turco-arménienne. Elle n'a dû son acquittement qu'au soutien massif de personnalités de tous pays.

Loin d'être un roman lourd ou tragique, La Bâtarde d'Istanbul est un livre incontournable qui éclaire d'un regard neuf la Turquie actuelle mais aussi le génocide arménien, plaie ouverte pour les victimes mais aussi pour de nombreux Turcs.

Istanbul, mai 2005 (© sylvie Strobl)

jeudi 1 novembre 2012

Rosa Candida

Audur Ava Olafsdottir
Traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson
Points n°2772


Arnljótur a hérité de sa mère la passion des roses. Lorsque celle-ci décède dans un accident de voiture, le jeune homme décide de quitter son Islande natale pour se rendre sur le vieux continent où il projette de restaurer la roseraie abandonnée d’un monastère. Pour tout bagage, il emporte quelques plans de cette rose à huit pétales que sa mère aimait tant, la rosa candida.
En partant, Arnljótur laisse derrière lui son frère jumeau autiste, son vieux père octogénaire et sa petite fille de 7 mois, conçue lors d’un « instant d’imprudence » au milieu d’une serre.

Parti pour un voyage qui le conduit bien loin de son Islande natale, notre héros est vite arrêté par une appendicite foudroyante. Une convalescence et quelques rencontres insolites plus tard, il arrive enfin au monastère où il ne tarde pas à se lier d’amitié avec un moine cinéphile qui lui fait découvrir Bergman et Antonioni et, tout en sirotant une poire Williams, lui parle de l’amour, de la vie, de la mort…  Arnljótur se pose beaucoup de questions, et plus encore lorsqu’Anna, son ex « d’un demi-soir », lui annonce son arrivée avec la petite Flóra Sól qu’elle compte lui confier, le temps de terminer son mémoire universitaire.

A partir de cet instant, c’est un chemin à l’envers qui s'offre à Arnljótur : devenu père par hasard, il va découvrir Anna, la mère de sa fille, et en tomber amoureux, mais se révéler aussi progressivement à travers la paternité. Tout cela sous le regard tantôt amusé, tantôt sévère, mais toujours bienveillant, des moines et des habitants du village où il s’est installé.

Rosa Candida se lit comme on prend une grande goulée d'air frais : roman initiatique,  il ne tombe ni dans l'angélisme, ni dans le sentencieux. Au contraire, il se laisse effeuiller avec grâce et légèreté. Il s'agit du 3ème ouvrage d’Audur Ava Olafsdóttir, mais le premier à être traduit en français. Cette historienne de l’art islandaise manie à merveille une langue à la fois poétique, drôle et tendre ; on saluera au passage le travail de Catherine Eyjólfsson, sa traductrice. 


Celle-ci a plus de huit pétales, mais tant de charme (© sylvie Strobl)


Sur la route du papier - Petit précis de mondialisation

Eric Orsenna
Stock

Je me suis longuement interrogée pour savoir quel livre aurait «l’honneur» d’inaugurer ce blog, jusqu’à ce que la réponse m’apparaisse comme une évidence : parler de livre, c’est parler de papier (pardon pour ceux d'entre vous qui ne connaissent plus que la tablette numérique !). Et pour une passionnée qui aime toucher, sentir… le livre d’Erik Orsenna, Sur la route du papier, s’impose. D’autant que, croyez-moi, vous allez voyager ! Japon, Indonésie, Ouzbékistan, Suède, Brésil… Orsenna nous emmène aux quatre coins du globe pour retracer l’histoire de ce matériau noble.

Tout commence en Chine, deux siècles avant notre ère. Lent développement d'une technique qui, dès l'origine, utilise une pâte liquide constituée de fibres végétales locales alors que le papyrus utilisé par les Egyptiens consiste, lui, en un tissage de fibres. Via la Route de la Soie et des lieux aux noms aussi évocateurs que Samarcande, le papier quitte l'Extrême et le Moyen Orient pour faire son apparition en Italie, en Espagne... au 9e siècle. Quelques siècles plus tard, l'Europe se décide à fabriquer son propre matériau et, profitant de l'inactivité des moulins durant l'hiver, décide d'y produire "la farine de l'esprit", développant en parallèle le commerce des chiffons utilisés pour la fabrication de la pâte.
L'épopée du papier continue : au 19e siècle, alors qu'au Japon, les papiers deviennent de plus en plus raffinés et précieux, l'Europe se tourne vers la mécanisation et, ultime développement, remplace la fibre textile par la cellulose de bois.

Deux mille ans d'histoire du papier, ainsi résumés, pour ouvrir ensuite les portes au papier contemporain : sa fabrication et ses conséquences sur la déforestation mais aussi sur le développement durable, son recyclage, son usage (du papier sécurisé pour les billets de banque... au papier toilette !) : le tout sous la plume toujours alerte et pétillante d'Eric Orsenna. 
On ne s'ennuie jamais, on sourit souvent, on apprend beaucoup... 

Au détour d'une page, le nom de Sanganer retient mon attention et tout de suite, des images me reviennent en tête : une petite bourgade du Rajasthan, non loin de Jaïpur, sans autre charme que son temple jaïn de pierre rouge et marbre blanc ; une usine de textile et une autre de papier, qui produit en récupérant les déchets produits par la première. Une visite improvisée dans les ateliers où des hommes réalisent, de manière totalement artisanale, des feuilles de papier incrusté de pétales de fleurs...

Sanganer, mars 2000 (© Sylvie Strobl)