Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 24 février 2013

Opium Poppy

Hubert Haddad
Folio n° 5516

C'est un roman qui ressemble à un reportage. Un de ces sujets du "20 heures" où, entre la poire et le fromage, le présentateur prévient : certaines images pourraient heurter les âmes sensibles. Et se déroulent, devant nos yeux, les séquences d'une vie : celle d'Alam, dit l'Evanoui. Un gamin de 12 ans pris entre la guerre et le trafic d'opium, dans un Afghanistan dominé par des talibans qui ne respectent rien, à commencer par l'enfance.

Dans ce pays où seule la culture du pavot permet aux paysans de survivre, la fleur du sommeil est l'objet de luttes intestines entre chefs tribaux convertis en narcotrafiquants.  Une arme à la main, Alam avance au milieu d'une histoire qui le dépasse et dont chaque étape lui fait perdre un peu de son innocence. Des hauts plateaux afghans à Paris où il se réfugie au terme d'un long périple, nous suivons l'histoire de cet enfant-soldat dont le destin est marqué par la violence et la mort.

Hubert Haddad ne fait aucune concession : son écriture rocailleuse comme les montagnes afghanes, son regard acéré comme la lame d'un poignard et son propos nous interpellent directement, nous mettant face à la réalité de notre société. Car en plus de nous confronter à l'horreur des enfants-soldats, l'auteur dénonce également la situation dramatique des véritables réfugiés politiques, ceux qui viennent de pays où les conflits sont tels qu'ils n'ont aucune chance de survie et qui, lorsqu'ils arrivent dans nos contrées où l'on brandit l'étendard des Droits de l'Homme, n'ont d'autre choix que de se cacher et de commettre des délits pour survivre.

"Il combattait l'étranger avec ses frères pachtounes et surveillait du bon oeil la culture des pavots" (© Syvlie Strobl)




dimanche 17 février 2013

L'ivresse du kangourou et autres histoires du bush

Kenneth Cook
Traduit de l'anglais (Australie) par Mireille Vignol
J'ai lu n°10184


Ne cherchez pas un sens caché au titre de ce recueil de nouvelles, il est à prendre au premier degré ! Ce kangourou ivre, comme d'autres espèces humaines ou animales, fait partie d'une galerie de portraits pour le moins cocasse dressée, pour notre plus grand plaisir, par Kenneth Cook. 

Le bush* australien n'est pas de tout repos : tour à tour aux prises avec des lézards à collerette, un rat sanguinaire, une autruche défendant sa progéniture... l'auteur n'a guère le temps de souffler ! D'autant que ses rencontres avec ses congénères ne sont pas plus calmes : entre le champion de bras de fer, le pro du rodeo, l'universitaire, le bénévole, le grand prêtre d'une tribut indigène... on se demande quand Kenneth Cook va enfin trouver un peu de répit. Il nous conte ses aventures avec un sens de l'humour et de la formule qui font mouche et qui garantissent une lecture pour le moins amusante. Et si le trait est un peu (beaucoup ?) forcé, pourquoi pas ? Après tout, personne n'a dit qu'il s'agissait d'aventures autobiographiques. Quoi que...

Une des nouvelles que j'ai le plus appréciée s'intitule "Renoncez à aimer les autruches". Le narrateur y accompagne une amie scientifique à la recherche d'un œuf d'autruche sur le point d'éclore. Mais il serait naïf de croire que le parent de cet œuf, témoin de la manœuvre, va accepter le rapt de sa progéniture sans réagir. Et rien de pire qu'une autruche contrariée ! 
Je ne peux résister à vous en livrer les premières lignes : "L'autruche est un sale oiseau. Ses yeux reflètent sa nature : petits et méchants, cruels, sans pitié. L'autruche n'a qu'une expression : un mépris haineux pour toutes les créatures vivantes en général, et pour moi en particulier. En plus de ça, elle donne des coups de pied comme un chameau et peut briser des rochers à coups de bec"...

Je vous laisse le soin de découvrir la suite par vous-mêmes. Et si vous succombez au style et à l'humour de Kenneth Cook, sachez qu'il est également l'auteur d'un premier opus du même acabit : "Le koala tueur". 

* Bush : formation végétale de l'Afrique orientale, de l'Australie et de Madagascar, adaptée à la sécheresse, dense, constituée par de petits arbustes et des arbres bas.

"Ses yeux reflètent sa nature : petits et méchants..." (© Sylvie Strobl)




dimanche 10 février 2013

Accabadora

Michela Murgia
Traduit de l'italien par Nathalie Bauer
Points n° 2858

Sélection 2013 Prix du meilleur roman des lecteurs de Points.


Je ne sais pas vous, mais pour ma part, j'aime les histoires de filiation, de tradition, de passage... Les histoires de terroir aussi, où l'on sent à quel point le lieu de naissance et la culture qui s'y rattache façonnent les êtres. C'est pour cela que j'ai tant aimé "Le coeur cousu" de Carole Martinez, ou "Le soleil des Scorta" de Laurent Gaudé. C'est pour cela aussi que je vous recommande chaudement "Accabadora".

Ce petit roman nous transporte en Sardaigne, dans les années 50, dans un village où tout se voit, tout se sait... et tout se tait. Tzia Bonaria est couturière. Veuve sans enfant, elle a accueilli chez elle la petite Maria, 4ème fille d'une famille pauvre, considérée comme l'enfant de trop. Chez Tzia, Maria trouve un foyer rude mais aimant. Elle va à l'école, apprend la couture... et grandit en respectant les principes de sa mère adoptive : il y a "ce qui se fait et ce qui ne se fait pas". 

Dans cet univers bien réglé, la seule chose que Maria ne comprend pas, ce sont les absences nocturnes de Tzia. Que fait-elle lorsqu'elle sort, enveloppée dans son grand châle noir ? A l'adolescence, la jeune fille découvre la vérité : Tzia est l'Accabadora du village, la dernière mère : celle que la famille appelle pour soulager les souffrances des mourants et les aider à partir.

Cette révélation est un choc pour Maria qui ne peut accepter l'idée que sa mère mette fin aux jours de ses semblables. Elle préfère fuir. Mais le moment venu, pourra-t-elle renoncer à ce lourd héritage ? 

Alors que certains Etats s'interrogent sur le droit pour chacun de mourir dans la dignité, "Accabadora" pose la question de l'euthanasie avec beaucoup de pudeur et de délicatesse, d'une façon qui n'est ni triste, ni lugubre. Ce serait même le contraire. L'auteur célèbre la vie à sa façon, dans une langue simple et poétique. L'écriture ne se perd pas en détails inutiles, laissant à chacun le soin de s'approprier le récit, un peu à la manière d'un conte qu'on se transmettrait, de mère en fille, le soir au coin du feu...




dimanche 3 février 2013

Le magicien de Lublin

Isaac Bashevis Singer
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Gisèle Bernier
J'ai lu n°101


Isaac Bashevis Singer est un maître de la littérature yiddish. Cet écrivain polonais, mort en 1991, a reçu le prix Nobel de littérature pour l'ensemble de son oeuvre en 1978. "Le magicien de Lublin", s'il vient d'être édité en Livre de Poche, n'est pas une nouveauté. Il parut pour la première fois en 1960. Pourtant, il reste d'une actualité saisissante tant les thèmes qu'il traite sont intemporels.

Yasha Mazur est un magicien à qui rien ne résiste : ni les serrures, ni les épées, ni le feu... ni les femmes ! Marié à Esther, juive pratiquante qu'il retrouve lors de ses retours à Lublin, il vit avec Magda, son assistante sur scène, durant ses tournées et ne dédaigne pas les faveurs d'une autre femme, Zeftel, ni la compagnie d'une bande de voleurs qu'il retrouve à Varsovie où il pratique son art. 
C'est là qu'il fait la connaissance d'Emilia et de sa fille, Halima. La jeune veuve séduit immédiatement Yasha mais, catholique, elle ne peut envisager de relation charnelle avec lui s'il ne se convertit pas à sa religion et s'il n'est pas prêt à s'engager formellement. De plus, Halima étant de santé fragile, un changement de climat serait salutaire et, pour cela, il faut de l'argent. Or, de l'argent, Yasha n'en n'a pas. Mais la bonne société de Varsovie en conserve dans ses coffres. Yasha qui, jusqu'alors, a toujours refusé d'utiliser ses dons pour des actions illicites sent sa volonté faiblir peu à peu...

Roman truculent, galerie de portraits et de caractères, "Le magicien de Lublin" est aussi une réflexion profonde sur le bien et le mal. Au travers des aventures de Yasha, l'auteur se demande si l'on peut suivre impunément toutes nos pulsions, sans se soucier des conséquences, directes ou indirectes, qu'elles auront sur celles et ceux qui nous entourent. A chacun d'y répondre. I. B. Singer, pour sa part, nous décrit un personnage régulièrement assailli par le doute et le questionnement qui, après une vie dissolue, s'engage sur le chemin de la rédemption et du mysticisme. Sa réflexion sur la religion, et sur le judaïsme en particulier, est éclairante et son roman, passionnant !