Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 30 juin 2013

Le chat qui venait du ciel

HIRAIDE Takashi
Traduit du japonais par Elisabeth Suetsugu
Picquier Poche


J'ai toujours été impressionnée par ces romans-fleuves où les personnages foisonnent, les histoires se croisent, les décors se multiplient... Ils nécessitent certainement de la part de leur auteur un talent et une maîtrise particuliers pour permettre au lecteur de ne pas se perdre. Mais je suis tout aussi impressionnée par ces petits opus où, en apparence, rien ne se passe et qui pourtant vous réchauffent le coeur et l'âme par leur simplicité généreuse. "Le chat qui venait du ciel" appartient sans nul doute à cette catégorie.

Un couple sans enfants s'installe dans le pavillon attenant à une demeure entourée d'un grand jardin fourmillant d'oiseaux et d'insectes. Rapidement, le petit chat des voisins surgit et s'invite dans leur vie, silhouette gracieuse à "la robe blanche parsemée de taches rondes d'un gris noir légèrement nuancé de marron clair comme il est fréquent d'en voir au Japon". Dès lors, la maison et le jardin rayonnent de la présence du félin : "la première fois qu'il s'est endormi chez nous, posé comme une perle sur le canapé où il dessinait une virgule, la maison tout entière a été plongée dans une joie profonde, comme en face d'une scène concevable seulement dans les rêves". 

A travers la présence - puis l'absence -  du chaton, le jardin qui évolue au gré des saisons, les propriétaires âgés qui déclinent peu à peu... l'auteur nous parle du temps qui s'égrène doucement. Il nous donne à contempler des choses simples décrites dans un langage poétique ; on y retrouve ce qui fait la magie de certains films asiatiques comme "L'odeur de la papaye verte" (réalisé par Tran Anh Hung) : l'éloge de la lenteur et de l'apparente banalité du quotidien. Mais cette banalité n'est en rien triste ou inutile. Elle constitue le socle de l'existence et la source de nos "petits bonheurs" pour autant qu'on accepte de la regarder avec amour et tendresse. Tout comme cette vie qui, parfois, nous file entre les doigts alors qu'il suffit de s'arrêter et de contempler ce que la nature nous offre de beauté pour en percevoir le souffle profond.

dimanche 23 juin 2013

La femme du tigre

Téa Obreht
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marie Boudewiyn
Livre de Poche n°32880


Voilà un livre qui se mérite ! Son auteur, Téa Obreht (25 ans au moment de la publication du manuscrit !), fait preuve dans ce premier roman d'une grande audace de style, mêlant le récit et la fable, les souvenirs et le folklore, le réalisme et les croyances quasi magiques !

Quelque part dans les Balkans, Natalia - jeune femme médecin - et son amie Zóra partent en campagne de vaccination dans un orphelinat. Sa vocation, Natalia la tient de son grand-père, médecin également ; ce grand-père qui, durant son enfance, l'emmenait au zoo, lui lisait "Le Livre de la Jungle" dont il conservait toujours son exemplaire dans sa poche, et lui racontait de nombreux contes et légendes. Or, alors qu'elle découvre des zones ravagées par les conflits, Natalia apprend le décès de l’aïeul bien-aimé dans des circonstances pour le moins étranges : condamné par une maladie qu'il a cachée à tous, sauf à sa petite-fille, le vieil homme a quitté son domicile pour aller mourir dans un hôpital sordide, au milieu de nulle part. 

Marchant sur les traces de son ancêtre pour récupérer ses effets personnels afin de permettre à son âme de trouver le repos, accomplissant en même temps la mission qu'elle s'est assignée auprès d'enfants traumatisés par la guerre, Natalia se remémore nombre récits qui ont émaillé son enfance : celui de l'homme qui ne meurt pas, celui du chasseur d'ours, mais surtout celui de la femme du tigre, jeune femme sourde et muette, maltraitée par son mari, dont Natalia découvre qu'il ne s'agit pas d'une légende mais d'un épisode bien réel de la vie de son grand-père.

D'une grande densité, ce récit foisonnant nécessite qu'on lui prête une attention sans faille, au risque de perdre le fil et de ne plus faire la différence entre le réel et l'imaginaire. L'auteur, en effet, jongle avec les lieux, les espaces, la temporalité... et balade littéralement le lecteur par le bout de sa plume. Lauréate du Prix Orange Price (l'un des plus prestigieux prix littéraires du Royaume-Uni), Téa Obreht et sa "Femme du tigre" font également partie de la sélection pour le Prix des lecteurs 2013 du Livre de Poche.


dimanche 16 juin 2013

L'année du lièvre

Tian
Gallimard
Tome 1 : Au revoir Phnom Penh
Tome 2 : Ne vous inquiétez pas

Une fois n'est pas coutume, c'est de BD dont je vais vous parler cette semaine. Ceux d'entre vous qui me connaissent savent mon attachement au Cambodge ;  si la renaissance de la littérature khmère est encore balbutiante, la bande dessinée offre, quant à elle, quelques regards intéressants sur l'histoire dramatique de ce pays du sud-est asiatique.

Tian, l'auteur de "L'Année du lièvre", est né au Cambodge en 1975, trois jours après la prise du pouvoir par les Khmers rouges. Très vite, ses parents quittent le pays pour s'installer en France. Devenu adulte, le jeune homme - qui a étudié les arts décoratifs - souhaite raconter ce que ses proches ont vécu. Plusieurs voyages au Cambodge lui permettent de recueillir des témoignages qui lui serviront à élaborer sa trilogie baptisée du nom du signe astrologique chinois caractérisant l'an 1975.

"L'Année du lièvre" raconte le périple d'une de ces nombreuses familles contraintes de quitter Phnom Penh pour rejoindre les campagnes où, au nom d'un soi-disant principe d'égalité et de partage, les catégories sociales sont abolies au profit d'un travail collectif dans les champs. Lina, sur le point d'accoucher, et sa famille découvrent peu à peu ce que leur réserve le nouveau régime. La confrontation entre deux franges d'une même population, celle qui s'est rangée du côté du pouvoir et celle qui le subit, permet de voir à quel point la frontière est parfois ténue entre ce que l'on pourrait qualifier de "bien" et de "mal" : à travers son récit, l'auteur met en évidence toute trace d'humanité, tant du côté des personnes déplacées que des bourreaux.

Servie par un dessin simple, voire enfantin, qui met d'autant plus en évidence l'horreur de cette page d'histoire tragique, l'oeuvre de Tian rend aisée la compréhension  d'événements parfois complexes. Le récit est fluide, la précision quasi documentaire, le réalisme présent à toutes les pages...  le cinéaste Rithy Pahn qui signe la préface y voit autant de repères "qui nous relient à nos morts". Indispensable pour mieux comprendre l'histoire de ce pays magnifique et de sa population attachante.

Si vous souhaitez suivre l'actualité de Tian, rendez-vous sur son blog L'Année du lièvre



Killing Fields, Cambodge janvier 2013 (© Sylvie Strobl)



dimanche 2 juin 2013

L'oeil du serpent - Contes folkloriques japonais

Traduit du japonais par Françoise Bihan-Faou et Chiwaki Shinoda
Folio, Collection à 2€


Vingt-et-un contes composent ce recueil divisé en trois séquences : "Les femmes serpents", "Les épouses du serpent" et "Belles et monstres". A croire que depuis Eve, femme et serpent sont indissociables, même dans la culture japonaise !!!
A dire vrai, il s'agit de textes très courts, issus de la tradition orale comme en témoignent certaines phrases qui débutent ou terminent les récits : "Il était une fois une famille qui avait une fille comme vous", "Il paraît que cette histoire s'est passée sur la plage du sud"... De plus, l'environnement - souvent rural - inscrit ces historiettes dans un Japon traditionnel où la croyance en un monde des profondeurs ne suscite pas le moindre doute ni, dans une certaine mesure, la moindre frayeur.

Ici, les serpents ne sont pas tous méchants : ce sont parfois des mères de famille qui, en fin de journée, changent d'apparence et "muent" en quelque sorte ; si quelqu'un venait à s'apercevoir de leur transformation, elles seraient condamnées à se cacher à jamais. Ce sont aussi de beaux jeunes gens qui viennent charmer les demoiselles et les séduire, le soir venu... Parents, gardez-vous bien de chasser ces prétendants qui symbolisent les esprits de la nature et veillent, à leur manière, sur l'ordre du monde.

Il n'y a pas vraiment de morale dans ces contes, sauf dans le récit intitulé "La mariée au corps de serpent" qui nous apprend que "ceux qui se comportent indignement dans le monde prennent, quand ils renaissent sur la terre, des formes étranges. C'est du moins ce que l'on dit". Il semble surtout que ce soit des histoires que l'on se transmette, comme on partagerait des anecdotes, de manière informelle. Un peu répétitifs mais non dénués d'humour et d'ingénuité, ces contes folkloriques nous permettent d'aborder un pan de la culture japonaise. Le recueil comporte quelques annotations des traducteurs, mais on regrettera toutefois l'absence de repères permettant de situer l'ensemble dans le contexte plus général du conte au pays du soleil levant.

Celui-ci ne vient pas du Japon mais du Sri Lanka (© Sylvie Strobl)