Traduit de l'hébreu par Sylvie Cohen
Points n°2895
Grand prix du meilleur roman des lecteurs de Points 2013
Prix Médicis étranger 2011
Ora est une femme et une mère abandonnée. Son mari l'a quittée et Adam, leur fils aîné, a choisi de suivre son père. Quant à Ofer, le cadet, il est sur le point d'être démobilisé et Ora a prévu de fêter l'événement en partant randonner en Galilée avec ce fils pour lequel elle ne cesse de trembler. Mais à peine rentré, Ofer s'engage pour une mission d'envergure au Liban, laissant là sa mère et ses projets.
Terrorisée à l'idée qu'un jour on sonne à sa porte pour lui annoncer que son fils est mort au combat, Ora décide de partir. Au moins, si ce jour arrive, elle ne sera pas là pour entendre la funeste nouvelle. Emportant les sacs à dos qu'elle avait préparés et entraînant dans son sillage Avram, son amour de jeunesse, elle part arpenter les sentiers du nord d'Israël, cheminant au rythme de sa mélopée. De ses pas naissent le récit de la vie de ce fils tant aimé, mais aussi celui de ses peurs et de ses joies maternelles, de ses bonheurs et de ses déceptions de femme et de mère. Shéhérazade des temps modernes, ce n'est pas pour protéger sa propre existence que, jour après jour, Ora déroule le fil de ses histoires mais avec la conviction profonde que, ce faisant, elle protège celle de son fils.
Au gré des sentiers, des vallées, des forêts... naît aussi le récit de la vie d'Avram. Cet homme brisé par un emprisonnement dans des geôles égyptiennes où il a connu la torture, et qui semble n'être plus que l'ombre de lui-même, a profondément aimé Ora. La vie les a parfois séparés, parfois rapprochés, et ces retrouvailles imprévues leur permettent de relire leur histoire commune qui a démarré dans un hôpital, lors de la guerre des Six Jours.
Des récits d'Ora et d'Avram délivrés par petites touches qui s'imbriquent et recomposent la mosaïque de leur existence sur fond de conflit israëlo-palestinien, David Grossman a tiré le meilleur de ce que la littérature peut faire naître comme émotion. Emotion d'autant plus vive lorsque l'on sait qu'en août 2006, le fils de l'écrivain perdit la vie au Liban lors d'une opération militaire à laquelle il participait ; quelques jours auparavant, son père avait lancé un appel à la fin des combats et à l'ouverture de négociations. Et c'est en quelque sorte pour conjurer le sort que David Grossman avait commencé l'écriture d'un roman contant l'histoire d'une mère dont le fils s'est enrôlé dans l'armée en pleine période de conflit...
Il y a urgence à lire ces lignes très belles et très touchantes. Elles nous rappellent l'horreur et l'inutilité de la guerre, mais elles nous plongent aussi dans la force des sentiments qu'un homme peut éprouver pour une femme, une mère pour son enfant... ou, plus largement, l'Homme pour l'humanité.
Plateau du Golan, mars 2006 (© Sylvie Strobl) |