Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 26 juillet 2015

Pueblo

Evelyne Heuffel
Ker Editions

C'est l'histoire d'une quête, presque une intrigue, construite comme un puzzle ! La narratrice, qui a vécu au Mexique avant de se réinstaller en Europe, reçoit une lettre de Nacha l'invitant à la rejoindre dans son "pueblo". Nacha, c'était la baby-sitter de sa fille, une indienne mexicaine rencontrée à Mexico des années auparavant, qui avait le don pour raconter des histoires. Mais était-ce des histoires ou des fragments de vérité ? 
Nous sommes en 1993 et, faute de temps, c'est par un courrier que la narratrice répond à l'invitation, un courrier qui lui revient avec la mention "adresse inconnue".

Quelque dix années plus tard, taraudée par les souvenirs, elle décide de partir au Mexique pour y retrouver la vieille femme. Commence alors un périple qui la mène de Mexico à Aguas Calientes, en passant par Real de Catorce, un village perdu dans le désert, sur les traces d'une Nacha introuvable. Au fil des pages, les souvenirs affluent, l'histoire de Nacha se dessine, se jouant de la chronologie. Passé et présent s'entremêlent dans un récit coloré, chatoyant, terriblement vivant - enrichi ponctuellement par des expressions en espagnol : ce sont les mots de Nacha qui chantent et résonnent. 

Très belle découverte que ce roman d'une auteure belge publié chez Ker Editions, une jeune maison d'édition, belge elle aussi ! Très beau voyage dans un Mexique profond qu'Evelyne Heuffel semble porter en elle tant elle le décrit avec un réalisme quasi cinématographique. Pour qui souhaite le dépaysement et l'authenticité, voilà un roman tout indiqué.


dimanche 19 juillet 2015

Pietra viva

Léonor de Récondo
Points n° 4012

A 30 ans, Michel-Ange est déjà le sculpteur de renom que l'on sait, mais c'est aussi un petit garçon orphelin qui n'a jamais su dépasser le sentiment d'abandon laissé par la mort de sa mère bien-aimée. Or, la mort frappe à nouveau, emportant Andrea, un jeune moine d'une beauté troublante auquel l'artiste est très attaché. Cette mort le plonge dans une infinie tristesse. Afin de s'occuper l'esprit et de dominer son chagrin, Michel-Ange quitte Rome et se rend à Carrare pour y choisir le marbre qui servira au tombeau que le pape Jules II lui a commandé. Là, dans cette petite ville qu'il connaît bien, au milieu de la campagne toscane, l'artiste s'étourdit dans le travail le jour, confronté la nuit à des rêves qui ravivent sa douleur. Entouré des carriers et des tailleurs de pierre, l'homme irascible et tourmenté se laisse progressivement apprivoiser par Michele, un jeune garçon qui vient de perdre sa mère. La spontanéité et l'innocence de l'enfant ainsi que la naïveté poétique et la folie douce de Cavallino font renaître chez le sculpteur une palette d'émotions profondément enfuies. En s'y abandonnant, l'artiste s'ouvre à une dimension nouvelle qui transcendera désormais son oeuvre.

Avec beaucoup de finesse, Léonor de Récondo nous conduit sur les traces d'un Michelangelo que la vie n'a pas épargné. L'homme, que l'on avait déjà croisé dans le très beau roman de Mathias Enard, Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, trouve son répit dans la pierre qu'il choisit avec précision et taille avec talent. Mais l'auteur lui ouvre une voie nouvelle : celle de l'attention aux autres, de l'écoute. Une voie que connaît bien l'écrivain, violoniste baroque avant de manier la plume et qui, comme tout musicien, sait à quel point l'écoute est capitale. Cette très belle réflexion sur l'art et la création, mais aussi sur la mort qui nous bouleverse tous, est menée avec une grande simplicité et une profondeur infinie, dans une langue épurée mais percutante. La marque d'un grand talent !

"Ce livre magique, magnifique et lumineux, est un best-seller". Une telle indication sur la couverture d'un roman a pour habitude de me faire fuir tant je me méfie de tout ce qui s'apparente, de près ou de loin, à un succès de foule. Pourtant cette fois, ma curiosité fut plus forte que mes a priori et ce, pour mon plus grand bonheur. Un bonheur que je vous invite vivement à partager.