Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 28 décembre 2014

Petits oiseaux

Yôko Ogawa
Traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle
Actes Sud


Il en est des livres comme des hommes : certains sont bavards et bruyants tandis que d'autres sont discrets et délicats. Entre les deux, on déclinera toute une gamme de nuances mais, sans hésiter, "Petits oiseaux" appartient à la seconde catégorie. 

Y. Ogawa nous conte l'histoire de deux frères dont le cadet est seul à comprendre l'aîné. Celui-ci parle le "pawpaw", une langue inspirée du gazouillement des oiseaux auxquels il voue une réelle passion. La directrice de l'école maternelle voisine l'a bien compris : elle lui permet de venir nettoyer régulièrement la volière qui se trouve dans la cour de récréation. Quant au cadet, régisseur dans la résidence d'un riche propriétaire, il soigne les roses et veille à la préservation du lieu.
La vie des deux frères s'écoule tranquillement, au rythme de leur solitude partagée. Tout au plus préparent-ils un voyage, mais est-il si important qu'il ne puisse être annulé ? Ce qui compte, ce sont les rituels : soigner les oiseaux, respirer le parfum des roses, préparer les bagages...

Lorsque le frère aîné meurt, c'est le puîné qui reprend l'entretien de la volière. La vie à nouveau s'écoule, troublée par la disparition d'un enfant et les insupportables soupçons à l'encontre du Monsieur aux petits oiseaux. Privé du nettoyage de la volière puis mis à la retraite, il continue son existence sur le même mode, modifiant simplement ses rituels.

A la fois poétique et terriblement à l'écoute de l'apparente banalité du quotidien, voici un roman qui pourrait paraître austère s'il n'était aussi subtil. Roman de la solitude et des petits riens, du temps qui passe sans faire de bruit ; roman de la différence sur laquelle on ne s'attarde pas, ou si peu. Comme si les mots incompréhensibles prononcés par le frère aîné ne troublaient personne, sa présence attentive et vivante se suffisant à elle-même.

Une fois encore, Yôko Ogawa nous invite à regarder le monde différemment, et surtout à l'écouter. Car tout est son dans ce texte magnifique : le chant des oiseaux mais aussi celui du grillon, le bruit du papier de sucette qu'on déballe puis qu'on froisse, les cris d'enfants, le battage de la douleur qui martèle l'intérieur du crâne... 

Prenez le temps d'entrer dans cet univers si particulier : on en ressort comme apaisé, un peu plus à l'écoute du monde et de ses silences. Peut-être aussi un peu plus à l'écoute de notre propre existence.

Ce livre fait partie de la sélection des "Matchs de rentrée littéraire 2014" organisé par PriceMinister

"Chacun chantait de plus belle avec la gorge qui lui avait été attribuée..."


dimanche 21 décembre 2014

La confrérie des moines volants

Metin Arditi
Points n°3326


Russie, 1937. Douze moines rescapés des massacres religieux perpétrés par les forces de Staline se donnent pour mission de sauver le patrimoine de la Sainte-Eglise de Russie. Vivant au fond des bois sous l'autorité du frère Nikodime, un colosse aux pieds d'argile hanté par son passé et tourmenté par le désir charnel, ces hommes prennent des risques quotidiens pour sauver les plus beaux trésors de l'art sacré orthodoxe des pillages et destructions orchestrés par les bolcheviques. Une fois les icônes et autres encensoirs sauvés, ils les enterrent dans une cache spécialement aménagée, au milieu d'un cimetière abandonné. Les acrobaties auxquelles ils doivent parfois se résoudre pour décrocher certaines œuvres des murs des églises leur ont donné l'idée de se nommer la confrérie des moines volants.

Paris, mai 2000. Mathias, photographe de mode renommé, découvre au décès de son père que celui-ci ne lui a peut-être pas tout raconté de sa vie et de ses origines. Une lettre cachée dans un meuble légué par son paternel lui révèle que sa grand-mère était russe et un cahier remisé au même endroit titille la curiosité de l'artiste : il répertorie des objets d'art religieux qui auraient été mis à l'abri dans un refuge ainsi qu'un plan... Commence alors pour Mathias une double quête qui le mène au pays de ses ancêtres à la recherche de ses origines et d'un patrimoine culturel important.

Entre 1918 et 1938, l'église orthodoxe russe a fait l'objet de véritables massacres : plus de 1000 monastères furent fermés, 50.000 églises furent saccagées et quelque 200.000 religieux et membres du clergé furent exécutés par le NKVD, le commissariat du peuple aux Affaires intérieures. 

Mêlant le réel à l'imaginaire, y compris dans une préface qui pourrait laisser croire que la confrérie des moines volants a bel et bien existé, Metin Arditi signe ici un roman contrasté. La première partie, illustrée par des personnages hauts en couleur, est passionnante. On suit avec intérêt les opérations de sauvetage menées par ces moines portés par une foi inébranlable et conduits par le frère Nikodime en perpétuelle quête de rédemption. La seconde partie, en revanche, me laisse un peu sur ma faim. Les personnages y manquent de charisme, à l'exception peut-être de Polia, la journaliste russe qui accompagne Mathias dans ses démarches et qui incarne la Russie des années 2000. Entre non-dit, culpabilité et devoir de mémoire, cette seconde intrigue, même si elle s'inscrit dans la continuité de la première, manque un peu de rythme et de souffle. Au final, on ne sort toutefois pas déçu de la lecture de ce livre qui fait partie de la sélection 2015 du Prix du meilleur roman des lecteurs de Points.


dimanche 14 décembre 2014

Dans les forêts de Sibérie

Sylvain Tesson
Folio n°5586


"Le luxe ? C'est le déploiement devers moi de vingt-quatre heures, offertes chaque jour à mon seul désir. Les heures sont de grandes filles blanches dressées dans le soleil pour me servir". 
Voilà effectivement le vrai luxe : le temps. Celui qui m'a manqué ces dernières semaines pour lire et partager avec vous mes lectures. Jusqu'à ce que des amis m'offrent le livre de S. Tesson en me disant "Tu vas voir, ce livre est extraordinaire. Il te plaira". 
Et oui, il m'a plu. J'ai tout de suite aimé suivre l'auteur dans son repli, son éloignement total de la société ("Le nom donné à ce faisceau de courants extérieurs qui pèsent sur le gouvernail de notre barque pour nous empêcher de la mener où bon nous semble"), dans son observation de la nature et ses contacts privilégiés avec une mésange, dans ce besoin de silence, de retrait...

Durant 6 mois, Sylvain Tesson s'est installé dans une isba de bois, loin de tout et de tous, au bord du lac Baïkal. Muni de l'équipement ad hoc pour survivre dans ce milieu que certains qualifieraient volontiers d'hostile, c'est aussi en compagnie de livres aussi divers que variés qu'il a vécu cette parenthèse érémitique : Kirkerkegaard, Lacarrière, Sade,Giono, Lao-Tseu, Hemingway... de la philosophie, des romans, des nouvelles, du théâtre. De quoi combler toutes les attentes d'un homme qui a fait le choix d'une parenthèse assez radicale.

A la fois poétique et bien ancré dans le réel, drôle et plein de (bon) sens, le récit de Sylvain Tesson a cela de fascinant qu'il nous permet, par la réflexion qu'il suscite, de trouver quelques fenêtres de respiration dans un quotidien parfois encombré.

Soyons francs : la Sibérie ne me tente pas plus aujourd'hui qu'hier : je n'aime pas le froid ! Mais il m'arrive de rêver d'une "île déserte"... Ma Sibérie à moi se trouve à un jet de pierres de mon "isba", je l'aperçois au loin, de ma fenêtre : c'est une cathédrale de hêtres où le silence, les mésanges et les couleurs me permettent de me ressourcer, de me recentrer. Et vous, à quoi ressemble votre Sibérie ?


Forêt de Soignes, lieu-dit des Enfants noyés