Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 9 février 2014

Maudit soit Dostoïevski

Atiq Rahimi
Folio n°5496


Depuis la parution de son premier roman, Terre et cendres, en 2000, Atiq Rahimi n'a de cesse de témoigner de la situation dramatique que traverse son pays, l'Afghanistan. Il n'y déroge pas avec Maudit soit Dostoïevski, s'interrogeant sur ce que représente un crime en tant de guerre.

Kaboul, années nonante. La ville, en pleine guerre civile, tremble régulièrement sous les explosions de roquettes. Comme nombre de ses concitoyens, Rassoul tente de survivre au milieu du chaos. Son existence bascule le jour où il décide de tuer Nana Alia, une usurière proxénète à ses heures qui n'a pas hésité à prostituer Souphia, sa fiancée. Mais n'est pas criminel qui veut : alors qu'il vient de fracasser le crâne de la vieille femme à coup de hache, Rassoul se trouve soudain "habité" par Raskolnikov, le héros de Crime et châtiment, et sans même prendre le temps de dérober l'argent et les bijoux de la victime, il s'enfuit. Effaré par le crime qu'il vient de commettre, le jeune homme perd la voix. Condamné au mutisme, il est d'autant plus attentif à ce qui se dit autour de lui et guette l'annonce de la mort de l'usurière, persuadé que dès que le corps sera trouvé, la nouvelle se répandra dans le quartier. Or, personne n'en parle ; tout au plus dit-on qu'elle est partie... De son cadavre, pas de trace. De la hache non plus, pas plus que de l'argent et des bijoux. 

Commence alors pour Rassoul un long et douloureux chemin où le remord et la culpabilité se mêlent à des épisodes hallucinatoires. Hanté par son geste, il veut se dénoncer, être jugé pour ce crime qui n'est ni politique, ni religieux mais d'ordre personnel. Or, dans une ville en proie à la violence, où les morts ne se comptent plus, personne ne semble prendre au sérieux son méfait : "Tuer une maquerelle n'est pas un crime dans notre sacro-sainte justice". Cet acte isolé et individuel représente bien peu de chose face aux héros et aux martyrs prêts à mourir au nom d'un idéal collectif.

Ce qui me touche dans ce roman comme dans Terre et cendres ou dans Singué Sabour, c'est le regard porté par Atiq Rahimi sur ses personnages. Au milieu du drame, de la mort, de la violence... il parvient à révéler leur part d'humanité ou ce qu'il en reste, même s'il ne s'agit que d'une étincelle. Au-delà des destins individuels, c'est l'histoire de son pays qu'il nous délivre et, en filigranes, celle de sa famille : de ses parents mais surtout de son frère aîné, communiste, mort à la guerre. Faire le deuil des êtres aimés mais aussi de ses repères : voilà peut-être ce qui pousse l'auteur à saisir la plume !


1 commentaire:

  1. Je t'invite à voir Singué Sabour, le film...
    Et Atiq Rahimi est un homme charmant à interviewer. Il se reflète en lui l'élégance de l'Orient.






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