Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 31 mars 2013

Un verger au Pakistan

Peter Hobbs
Traduit de l'anglais par Julie Sibony
Christian Bourgois Editeur


Parce qu'il a eu l'audace de tomber amoureux de la fille d'un notable alors qu'il est le fils d'un simple cultivateur du nord du Pakistan, le narrateur, à peine âgé de 14 ans, est jeté en prison. Il y croupira pendant 15 ans, subissant tortures et humiliations, sans qu'aucun procès ne lui soit fait : "On m'avait jeté en prison non pas pour que je sois puni, mais oublié". 

Soumis au bon vouloir de ses geôliers, il est libéré sans raison particulière. Durant toutes ces années, il n'a reçu aucune nouvelle de sa famille ni de sa bien-aimée, et c'est la providence qui met sur son chemin Abbas, un poète et intellectuel, qui le recueille et le prend sous son aile. Abbas est veuf et élève seul sa fille âgée de 10 ans. En leur compagnie, le jeune homme se reconstruit physiquement et moralement, réapprend à lire, à écrire, à savourer des plaisirs simples comme le goût d'une grenade cueillie sur l'arbre, le parfum quasi enivrant d'une rose ou la chaleur d'un rayon de soleil. Mais il doit également réapprendre un nouveau monde car, en 15 ans, beaucoup de choses ont changé. Sa famille a disparu, le verger de son père, où il se rend régulièrement, a été confisqué au profit d'un chef tribal qui le laisse à l'abandon... et surtout, la guerre a semé la méfiance et la peur : "De nouvelles voix s'élèvent (...). Elles exigent l'application de la Charia. Quand elles parlent de tradition, elles ne se réfèrent pas au mode de vie que nous connaissons depuis des générations".

Toutefois, à travers tout ce temps, le jeune homme n'a jamais oublié Saba, son amour de jeunesse, dont le souvenir l'a porté durant les épreuves qu'il a traversées. C'est pour elle qu'il témoigne, pour lui réaffirmer son amour. Pour ce faire il utilise une langue poétique et forte, dont le souci du détail n'est pas sans évoquer les miniatures orientales. On saluera le travail de la traductrice qui rend, dans toute son ampleur, la profondeur de ce langage au service d'une histoire d'amour intemporelle.


Miniature arabe, XIIIe siècle


dimanche 17 mars 2013

Le pari des guetteurs de plumes africaines

Nicholas Drayson
Traduit de l'anglais par Johan-Frédérik Hel Guedj
J'ai lu n° 10214


Chaque mardi matin, Mme Rose Mbikwa conduit une promenade ornithologique à Nairobi. Elle y partage avec les participants sa passion pour les oiseaux. Et chaque mardi matin, fidèlement, M. Malik participe à la promenade, n'osant révéler à Mme Rose qu'il est amoureux d'elle. Peut-être pourrait-il profiter du bal annuel du Hunt Club pour l'inviter et lui faire part de son amour ? Oui, mais voilà ! Au même moment resurgit à Nairobi Harry Khan. Cet ancien camarade de collège de M. Malik a, lui aussi, des vues sur Mme Rose et souhaite également profiter du bal pour lui révéler sa flamme.

En véritable gentlemen, et pour ne pas contraindre la dame à un choix qu'il lui serait peut-être difficile de poser tant ils sont différents, les deux hommes décident de se départager par un pari tout à fait original : ils ont 8 jours pour repérer et identifier le plus grand nombre d'oiseaux dans le pays. Commence alors, pour l'un et l'autre, une chasse visuelle qui les mène vers de nombreuses rencontres et leur fait vivre quelques aventures insolites.

Mon intérêt pour les oiseaux m'a poussée vers ce roman dont je me suis délectée. Car, effectivement, on y parle oiseaux à toutes les pages, ou presque. Mais je vous rassure : même si ces petits animaux ne vous inspirent guère, l'humour de Drayson, lui, ne devrait pas vous laisser indifférents. Ne vous attendez pas à rire à gorge déployée, mais plutôt à savourer cet humour subtil, et parfois surréaliste, que manient si bien les Anglais. Gageons aussi que vous ne resterez pas insensibles aux personnages pittoresques qui traversent l'histoire et accompagnent Malik et Khan. Voilà un roman léger, tout en finesse et en couleurs, qui - par ces journées froides et sans lumière - se révèle un excellent remède contre la morosité !


© Sylvie Strobl (mars 2011)


dimanche 10 mars 2013

Le cercle des menteurs

Jean-Claude Carrière
Pocket n°10567

Lorsqu'il m'arrive, comme c'est le cas en ce moment, de ne pas avoir de temps à consacrer à la lecture de romans, je me tourne vers les contes. J'adore ces histoires qui passent les époques et les frontières, qui nous font voyager, nous plongent dans un univers différent, parfois magique, où les animaux parlent, où les humains se transforment, où les objets ont une âme... Et pour tout vous dire, quand l'occasion se présente d'écouter un conteur ou une conteuse, j'ai à nouveau 5 ans et les yeux qui pétillent...

Mon livre de chevet du moment, "Le cercle des menteurs", est sous-titré "Contes philosophiques du monde entier". Rassemblés par l'écrivain Jean-Claude Carrière, ces petits bijoux sont présentés sous différents chapitres aux noms évocateurs : Le monde est ce qu'il est ; L'humain est parfois trop humain ; Un bon maître peut être utile, ou inutile ; Le rire peut être une fin en soi...

Au fil des pages, la sagesse, l'humour, la drôlerie, le surréalisme... sont au rendez-vous, tout comme les érudits, les fous, les poètes, les voleurs, les roublards... Pour aller à leur rencontre, rien de mieux que de butiner : ouvrir le recueil au hasard et se laisser porter. 

Juste pour vous mettre en appétit, voici l'histoire de la Lampe du maître :
"Un maître zen et son disciple marchaient sur un chemin, au coeur de la nuit. Le maître tenait une lanterne.
- Maître, demanda le disciple, est-il vrai que tu peux voir dans le noir ?
- Oui, c'est vrai.
- Alors, pourquoi cette lanterne ?
- Pour que les autres ne me heurtent pas.


Pagode de la Dame Céleste, Vietnam 2002 (© Sylvie Strobl)