Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 28 juillet 2013

Le papillon de Siam

Maxence Fermine
Le livre de Poche n°31632


Le nom d'Henri Mouhot ne vous évoque sans doute rien. Si je vous dis qu'il découvrit un précieux scarabée aux élytres d'or (mouhotia gloriosa, pour les puristes) lors d'une de ses expéditions dans la jungle du sud-est asiatique, je doute fort que cela vous éclaire davantage. Pourtant, ce natif de Montbéliard (né en 1826 et mort au Laos en 1861), naturaliste et entomologiste à ses heures, découvrit bien plus qu'un insecte. Il révéla à l'Europe entière l'existence des merveilleux temples d'Angkor qu'il dénicha par hasard alors qu'il chassait le papillon dans la jungle cambodgienne.

Pour ce jeune homme un peu introverti, la vie ne peut se résumer à une petite ville de province. Heureusement qu'il y a les livres, les récits d'aventures en particulier, et parmi ceux-ci, celui de Mgr Pallegoix, missionnaire français à Bangkok, dans le royaume de Siam. Les mots de l'archevêque dansent sous les yeux de Mouhot : mandarins, banians, Khmers, Thaïs... c'est décidé : c'est là qu'il veut aller. Mais de Montbéliard à Bangkok, la route est longue, surtout au 19e siècle ! Ses pas le mènent d'abord en Russie où il enseigne le français, en Angleterre suite à son mariage avec la nièce de Mungo Park, célèbre explorateur britannique, à Jersey... avant de pouvoir enfin réaliser son rêve : partir en Asie lors d'une expédition financée par l'Académie royale des sciences de la Couronne britannique. En contrepartie de ce financement, Mouhot devra rapporter un Teinopalpus Aureus, ou papillon de Siam, précieuse espèce qui manque à la collection de l'Académie. Et voilà comment se joue un destin !

Le livre de Maxence Fermine nous mène sur les traces de Mouhot, de sa naissance à sa mort à Luang Prabang, terrassé par une de ces fièvres exotiques que la science n'a pas encore identifiées à l'époque. Ce court roman qui tient de la biographie ne se perd pas en détails inutiles. Au contraire, servi par une écrire fluide et efficace, il nous mène tambour battant à travers l'Europe, puis l'Asie. Cela pourrait être sec, mais ça ne l'est pas. En peu de lignes, l'auteur nous fait partager la vie très particulière d'un de ces aventuriers que rien n'arrêtait pour atteindre l'objectif qu'ils s'étaient fixé, à une époque où les moyens humains, scientifiques, technologiques... étaient encore très limités. Tout au plus regrette-t-on en refermant l'ouvrage d'être déjà arrivé au terme de cette histoire étonnante : on resterait bien un peu plus longtemps dans cette "ville à la fois minérale et végétale, dont il ne subsiste qu'un amas de ruines, un cimetière de grès envahi par la végétation. Une cité de silence et de mystère".

50 ans plus tard, un autre aventurier dans son genre séjourna au Cambodge et écrivit un très beau livre que je vous conseille si vous voulez poursuivre le voyage : Il s'agit d' "Un pèlerin d'Angkor" de Pierre Loti, publié aux Editions Kailash.


Temple de Ta Phrom, Cambodge (© Sylvie Strobl)

dimanche 21 juillet 2013

Touriste

Julien Blanc-Gras
Livre de Poche n° 32993

Alors que les enfants aiment s'endormir en serrant un doudou dans leurs bras, le petit Julien Blanc-Gras s'endormait en serrant un globe terrestre, "la joue contre la Corée, la Norvège chaudement lovée contre (sa) poitrine et Los Angeles au bout des doigts" ! Et à l'âge où les enfants apprennent à lire "papa" et "maman"... c'est avec "Kamtchatka" qu'il découvrit le plaisir d'assembler les lettres ! Comment s'étonner qu'à l'âge adulte, il voulut s'assurer que tout ce qu'il avait appris dans les livres et à la lecture des cartes était exact !

Devenu journaliste-voyageur, l'auteur nous fait partager quelques anecdotes d'un périple qui le mène d'Angleterre en Inde, en passant par Israël, le Guatemala, les aéroports suisses ou la Colombie. On ne résiste pas à l'humour avec lequel il narre ses (més)aventures et met à mal certaines idées couramment répandues (non, toutes les plages de Tahiti ne ressemblent pas à des images de carte postale : "Il y a des plages. Il y a du sable, noir et volcanique. Le sable blanc et fin de la carte postale, c'est plutôt Moorea, l'île voisine..."). Mais au-delà de cet aspect, Julien Blanc-Gras est aussi un observateur lucide de ses semblables à travers le monde, des situations géo-politiques auxquelles il est confronté, de la misère et de ses conséquences... Même dans ces passages un peu plus graves, jamais l'auteur ne se départit de son sens de la réplique qui fait mouche à tous les coups. J'en veux pour preuve cette citation : "Je travaillais à l'usine pour pouvoir voyager. Ils avaient beaucoup, beaucoup voyagé pour venir travailler à l'usine" !

En feuilletant ce livre, au moment de l'acheter, je suis tombée (il n'y a pas de hasard !) sur quelques lignes qui ont fait écho à mes propres souvenirs de voyages : dans un temple du Rajasthan au "calme mystique", l'auteur se fait dérober son repas par une horde de singes en furie. Surpris, vexé, impressionné, frustré... Julien Blanc-Gras n'a pas assez de qualificatifs pour décrire son état d'esprit. Pour ma part, une fois la surprise passée, ce fut un grand éclat de rire qui résuma ce larcin commis avec célérité. Cela se passait à Galta, dans un ensemble de temples du 18e siècle colonisé par les singes : nous venions d'acheter des samosas emballés dans un sac en plastique bleu. Est-ce la couleur ou l'odeur ? En une fraction de seconde, un singe se précipita sur le sac tenu à bout de bras,  le déchira, nous déroba deux samosas qu'il dégusta ensuite tranquillement alors que ses congénères semblaient tentés de faire de même : un souvenir qu'aujourd'hui encore nous évoquons avec amusement !


Galta, Rajasthan (© Sylvie Strobl)

dimanche 14 juillet 2013

Le jour avant le lendemain

Jørn Riel
Traduit du danois par Inès Jorgensen
Editions 10/18, n°3456


Quelque part dans le grand nord, là où la banquise s'étend à perte de vue, une tribu Inuit vient d'effectuer sa transhumance afin d'installer son campement dans un endroit plus adéquat pour passer l'été. Les hommes ont repéré les lieux et installé les tentes, les femmes ont réanimé le feu... et, la chasse ayant été bonne, la nourriture est abondante.

Comme le veut la tradition, l'un des membres va quitter la tribu pour se rendre sur une île voisine afin d'y faire sécher une partie de la viande et du poisson en prévision du prochain hiver. Ninioq, la doyenne, se propose et son petit-fils Manik veut l'accompagner : les hommes qui les conduisent sur l'île viendront les rechercher avant la mauvaise saison. Commence alors pour la vieille femme et l'enfant une période riche d'échanges et de partage, d'apprentissage pour Manik à qui sa grand-mère lègue les savoirs ancestraux : ceux de la pêche et de la chasse qui assurent la survie dans un milieu parfois hostile. C'est aussi l'heure de transmettre les traditions et les légendes de la tribu, et Ninioq est une excellente conteuse. 

Le temps s'écoule, les hommes devraient revenir et au fil des jours, l'inquiétude gagne l’aïeule : quelque chose a dû se produire pour que personne ne vienne les rechercher.  Il lui faut savoir ce qui s'est passé, quitte à découvrir le pire...

Roman d'initiation, "Le jour avant le lendemain" fait partie de ces livres qui nous transportent : à la fois par leur décor, par le dépaysement intense procuré par un mode de vie si éloigné du nôtre, par la force des traditions dont ils témoignent... C'est aussi un roman d'amour : celui de Ninioq pour son petit-fils, celui d'un peuple pour son environnement, celui tout simplement de la vie comme elle est, sans chercher à la travestir. C'est enfin une leçon de respect - ô combien importante - pour la nature à l'heure où le réchauffement climatique et la fonte des glaces menacent les zones arctiques et leurs habitants.

Jørn Riel, né au Danemark en 1931, a participé durant 16 années à des expéditions dans le nord-est du Groenland. C'est à son retour qu'il s'est mis à l'écriture, partageant ainsi les rencontres et les expériences engrangées au fil des années. Sa bibliographie, entre romans et nouvelles, est importante. Nul doute : je vais sans tarder me plonger dans un autre de ses récits !