Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 30 décembre 2012

J'aurais pu aussi vous parler de...




Pour terminer l'année, voici quelques livres que j'ai aimés, dont je n'ai pas eu l'occasion de vous parler mais qui méritent vraiment le détour !

Laissez-vous séduire par la langue ciselée de Laurent Gaudé en suivant le destin du Roi Tsongor et de son peuple, mais aussi en lisant Le soleil des Scorta : remarquables ;

Révoltez-vous contre les conditions de vie des bonnes du Mississippi au début des années '60 et affichez La couleur des sentiments (merci Stéphanie de m'avoir offert ce livre !) ;

Découvrez les secrets d'une famille durant la 2ème guerre mondiale à travers les yeux d'Emma, la petite-fille, dans un roman sensible et percutant : Sobibor ;

Allongez-vous sur le divan pour écouter les confidences de Nietzche et si les méandres de l'âme humaine vous séduisent, dévorez tous les romans de Irvin Yalom ;

Savourez Le goût des pépins de pomme comme une gourmandise qui célèbre les plaisirs culinaires et de l'amitié ;

Riez et pleurez avec Linnea, l'héroïne de la trilogie de Katarina Mazetti (Entre Dieu et moi, c'est fini, Entre le petit chaperon rouge et le loup, c'est fini, et La fin n'est que le début) ;

Fuguez avec Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire et relisez, grâce à lui, une partie des événements du 20ème siècle sur un mode humoristico-historique ;

Oubliez que Mankell a écrit des polars (même s'ils sont très bons) pour découvrir ses qualités romanesques en suivant le périple d'une jeune africaine, Tea-Bag, qui symbolise à elle seule le drame des réfugiés ; profitez-en pour lire aussi Les chaussures italiennes : émotion garantie !

Enfin, suivez le destin bousculé de Jean Atwood qui se rêvait chirurgienne et se retrouve dans un service de gynécologie à écouter ce qu'elle pense être les lamentations du Choeur des femmes !

Et vous, qu'avez-vous lu et aimé en 2012 ?



















dimanche 23 décembre 2012

Le Sari rouge

V. V. Ganeshananthan
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sylvie Schneiter
Livre de Poche n° 32260


L'entrecroisement de l'amour et de la guerre est étrange". Cette phrase résume bien le premier roman de V.V. Ganeshananthan, écrivain d'origine sri-lankaise. En effet, si elle nous parle d'amour et de mariage (Arrangé, Par soi-Même, Hors-Caste, Sous Influence...), l'auteur nous mène aussi sur les traces de l'histoire. Celle de sa famille, qui a fui le pays et s'est dispersée aux 4 coins du monde, et celle, troublée, du Sri-Lanka. En 1972, l'indépendance de l'île est le point de départ d'une discrimination en faveur de la majorité cinghalaise, au détriment de la minorité tamoule. C'est une véritable guerre civile qui éclate, mettant le pays à feu et à sang durant de nombreuses années, occasionnant un grand nombre de victimes et engendrant un flux migratoire important.

Cette guerre, Yalini - l'héroïne du Sari rouge - ne l'a pas vécue. Elle est née aux Etats-Unis où ses parents ont immigré et se sont rencontrés, et elle a toujours tenu à distance la culture de son pays au profit de sa patrie d'adoption. 
Lorsqu'elle fait la connaissance de son oncle maternel, rongé par un cancer et venu trouver refuge au Canada pour y mourir, la jeune fille découvre qu'à l'inverse de son père, pacifiste dans l'âme, cet oncle a fait partie des Tigres, la minorité tamoule responsable de la mort de milliers de personnes. L'horreur le dispute à la curiosité car au travers des confidences qu'il lui fait, Yalini retrace peu à peu l'histoire de toute sa famille et s'approprie des rituels et des coutumes qu'elle avait, jusqu'à présent, ignorés.

Ecrit dans un style dépouillé, composé de nombreux chapitres très courts, le récit  de V.V. Ganeshananthan est décliné au travers de nombreux flashs qui relatent des épisodes de la vie familiale des parents de Yalini. Le mariage y occupe une place de choix, symbolisé par ce Sari rouge que le marié offre à sa future épouse le jour de leur union et que Yalini se prend à espérer à son tour.

Les mariés du Sri-Lanka, sans sari rouge mais respectant
la tradition du vêtement d'apparat (© Michel M., mars 2011)


dimanche 16 décembre 2012

L'histoire de Pi

Yann Martel
Traduit de l'anglais (Canada) par Nicole et Emile Martel
Folio


Mercredi prochain sort sur les écrans de cinéma "L'odyssée de Pi", film tiré du roman de Yann Martel. Gageons que cette réalisation - que je n'ai pas vue évidemment - fera la part belle au côté aventureux de l'histoire. Le roman, quant à lui, débute dans les rues tranquilles de Pondichéry. C'est là que Pi (Piscine Molitor Patel, ainsi nommé pour honorer son parrain, fan de natation) a vu le jour et a grandi, entouré de son père, directeur du zoo, de sa mère et de son frère aîné, Ravi.

Adolescent curieux, Pi coule une vie paisible, empreinte de spiritualité. Oecuméniste avant l'heure, il fréquente à la fois la mosquée, l'église catholique et le temple hindou, mû par un seul souhait : "aimer Dieu". 
Ravi, quant à lui, préfère le cricket, le cinéma et la musique...

Alors que des remous politiques agitent le Tamil Nadu, le père de Pi décide de quitter l'Inde pour s'installer au Canada. Toute la famille, ainsi que certains pensionnaires du zoo, embarque donc sur un cargo japonais battant pavillon panaméen. Mais au beau milieu de l'océan Pacifique, le navire coule corps et biens sans qu'aucun appel à l'aide n'ait pu être lancé. Pi est le seul survivant de cette aventure. En tous cas, le seul être humain car très vite, il découvre que le canot de sauvetage dans lequel il a pris place sert de refuge à un zèbre, une hyène, une femelle orang-outan... ainsi qu'à son vieil ami, Richard Parker, le tigre royal du Bengale du zoo de Pondichéry.

La loi de la jungle étant ce qu'elle est, même dans un canot de sauvetage, Pi se retrouve  rapidement seul avec le félin. Leur naufrage durera 227 jours, durant lesquels le jeune homme devra développer des trésors d'ingéniosité et de courage pour faire face à sa situation et à son compagnon d'infortune.

Fiction ou réalité ? Yann Martel s'amuse à jeter le trouble en relatant sa rencontre avec le rescapé dont il recueille le témoignage. Quoi qu'il en soit (je vous laisse le soin d'en décider !), Y. Martel renouvelle le genre avec ce roman d'aventure où le spirituel le dispute au psychologique, et le témoignage à la fable. Par sa dimension métaphorique, "L'histoire de Pi" nous renvoie aussi à notre propre traversée, non de l'océan, mais de l'existence, à nos peurs qu'il nous faut dompter, à nos "ennemis" visibles ou invisibles... Mais comme l'auteur manie l'humour et l'érudition avec bonheur, le voyage est captivant !


 L'odyssée de Pi, bande annonce (un petit clic !)

dimanche 9 décembre 2012

Terres des oublis

Duong Thu Huong
Traduit du vietnamien par Phan Huy Duong
Livre de poche n°30836



Quel que soit l'endroit du globe où elle se déroule, la guerre reste la guerre, et ses conséquences pour ceux qui la font ou la subissent sont toujours dramatiques. 
Dans ce petit village du nord du Vietnam, Miên, à peine mariée, a vu Bôn, son mari, partir au front. Quelques années plus tard, un certificat de décès a mis fin à ses espoirs de le revoir. Elle a refait sa vie avec Hoan, un homme bon et intelligent qui lui a donné un fils  ; dans cette nouvelle existence, elle vit un bonheur calme et paisible.

Puis resurgit celui que tous croyaient mort : 14 ans après avoir quitté le village, Bôn réapparaît, brisé par le conflit mais porté par l'espoir de retrouver sa femme. Le dilemme est terrible pour Miên : va-t-elle quitter l'homme qu'elle aime pour reprendre la vie avec celui "qui a apporté sa part de sang dans la guerre contre les Américains pour libérer le pays" ou faire taire son sens du devoir et rester avec Hoan. Sous la pression silencieuse mais pesante des villageois, c'est le devoir qui l'emporte. Miên quitte son mari, son enfant, sa maison confortable pour retourner vivre dans une masure quasi insalubre, avec un homme qu'elle n'aime plus.

Dans ce très beau roman, Duong Thu Huong pose la question fondamentale du sens devoir et de sa primauté sur le bonheur et la liberté individuels. Le sacrifice auquel Miên consent est révélateur de l'état d'esprit qui régnait au Vietnam à la fin des années '70. A la fin du conflit, des jeunes filles furent incitées à épouser les mutilés de guerre afin de "payer la dette du peuple vis-à-vis des bienfaiteurs de la patrie".

Donnant tour à tour la parole à ses trois personnages, et alternant le récit avec leurs monologues intérieurs, Duong Thu Huong construit une oeuvre âpre, au goût amer.  Misère morale, remords et regrets rythment ses pages, douleur et violence aussi, et l'on ne sort guère épargné de cette histoire terrible dont on n'ose imaginer qu'elle puisse se (re)produire. Pourtant, une fois la lecture commencée, il est impossible d'abandonner Miên, Bôn et Hoan : leur destin tragique nous tient en haleine, et la peinture que fait l'auteur du Vietnam d'après-guerre et de la vie en milieu rural contribue largement à l'intérêt que l'on porte à ce roman.

Nord du Vietnam, mars 2002 (© Sylvie Strobl)

dimanche 2 décembre 2012

Grand-père avait un éléphant

Vaikom Muhammad Basheer
Traduit du malayam (Inde) par Dominique Vitalyos
Points n°2925


Kounnioupattoumma, fille de notables musulmans, ne connaît de la vie que ce que ses parents ont bien voulu lui en dire. Soit peu de choses : que sa famille et elle font partie d'une élite sociale, qu'elle se doit de vivre en respectant les principes stricts de sa religion et en méprisant les kafir (non musulmans) et surtout, que son grand-père avait un éléphant. Et pas n'importe lequel : "un mâle gigantesque avec de grandes défenses !". Mais Kounnioupattoumma ne sait ni lire, ni écrire : à quoi bon pour une jeune fille dont le destin se résume à un mariage arrangé ! Parée de ses plus beaux bijoux, elle n'a d'autre occupation que d'attendre ses noces... qui ne viennent pas : aucun des prétendants qui souhaitent la prendre pour femme n'est assez beau, assez riche, assez puissant pour sa mère. 

Un revers de fortune soudain plonge la famille dans la pauvreté. Ce qui s'apparenterait, pour beaucoup, à une catastrophe, devient le symbole de la liberté pour Kounnioupattoumma : plus de bijoux, ni de mariage en vue, mais la découverte d'une autre vie où l'air, le soleil, la lune s'offrent à elle. Où elle peut aller, venir... et échapper au caractère de plus en plus ombrageux de sa mère.
Lors d'une de ses balades, elle fait la connaissance de Nisar Ahmad, un jeune musulman cultivé et modéré. La rencontre avec Nisar, puis avec sa soeur Aïsha, ouvre Kounnioupattoumma à un autre monde. Un monde où les femmes peuvent se coiffer, se maquiller, danser... mais surtout, où elles ont accès à l'éducation et peuvent choisir leur destin. C'est toute la vie de la jeune fille qui va s'en trouver bouleversée.

Grande figure de la littérature indienne et conteur hors pair, Vaikom Muhammad Basheer  est mort en 1994, après une vie peu banale. Très tôt engagé en littérature mais aussi en politique, il fait quelques séjours en prison en raison des idées qu'il défend, mais il reçoit aussi une haute distinction de la part du gouvernement indien pour sa contribution à la littérature !
Il nous livre, avec ce texte, l'histoire d'une métamorphose sur fond de peinture sociale. Tantôt drôle, tantôt féroce, le portrait qu'il dresse d'une famille entravée par le poids des croyances, qu'elles soient religieuses ou de l'ordre de la superstition, est sans concession. Mais ce (trop) court récit est aussi un hymne à la tolérance et au bonheur qui, par sa forme ramassée et son réalisme non dénué d'humour, n'est pas sans évoquer les nouvelles de Maupassant.

Ce livre fait partie de la sélection 2013 pour le Prix du meilleur roman des Editions Points. 



Lakshmi, l'éléphant de Pondichéry - février 2009 (© sylvie Strobl)