Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 30 août 2015

Ici ça va

Thomas Vinau
10/18 n°4697


On ne connaîtra pas son nom mais sa femme s'appelle Emma. Ils viennent d'emménager dans la maison de son enfance, une maison aux allures de bouée pour un homme fragile miné par une sourde angoisse. Des raisons de son mal-être, on ne saura que la mort du père. Des raisons de sa renaissance, il y a ces murs poussiéreux qui ne demandent qu'à reprendre vie, ce jardin abandonné qui n'attend qu'à refleurir, ce ragondin pris au piège qui espère la liberté... Et puis il y a le vieux, le voisin : celui qui sait comment tailler la vigne et monter une ligne, celui qui connaît le lieu où le père a rendu son dernier souffle.

Entre souvenirs et présent, loin de l'agitation et de la grisaille de la ville, c'est une nouvelle vie que le couple est venu chercher et reconstruire. Une vie aux parfums de tilleul et de chèvrefeuille, qui murmure comme la rivière. Par petites touches impressionnistes, le narrateur colore son existence de nouvelles tonalités, en quête d'une harmonie perdue ; la nature et la simplicité que lui offrent la vie à la campagne en seront le ferment. 

"Ici ça va", "c'est par ces mots que je commencerais une lettre si j'étais loin, que j'allais bien et que je voulais rassurer quelqu'un". C'est aussi ce que l'on dit parfois par pudeur, politesse ou paresse, pour ne pas trop se dévoiler. C'est la manière poétique avec laquelle l'auteur nous interpelle et parle à l'âme et au coeur. Un livre qui touche à l'intime, à lire et relire tant les mots de Thomas Vinau sont justes. Ils nous rappellent que, sous leur apparente banalité, les petits moments du quotidien peuvent être le meilleur des remèdes, à condition de savoir les savourer.





dimanche 23 août 2015

Le restaurant de l'amour retrouvé

OGAWA Ito
Traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako
Picquier poche


Alors qu'elle rentre chez elle après son travail au restaurant, Rinco découvre que son amoureux est parti, vidant complètement l'appartement. De stupeur, la jeune femme en perd la voix. Tout a disparu : ses précieux ustensiles de cuisine achetés au fur et à mesure de ses économies, les prunes séchées réalisées des années auparavant avec sa grand-mère, le précieux mortier hérité de cette même grand-mère... Il ne reste plus rien ou presque : dans le réduit du compteur à gaz subsiste une jarre de saumure indispensable à la préparation de nombreux plats.

Totalement démunie, sa jarre sous le bras, Rinco décide de retourner dans son village natal qu'elle a quitté des années auparavant. Elle y retrouve sa mère, un être fantasque vivant avec une truie apprivoisée ; une mère avec laquelle Rinco n'est jamais parvenue à établir des relations chaleureuses et qui ne semble guère émue par ces retrouvailles impromptues. 

Pour éviter de sombrer dans l'apathie, la jeune femme décide de se consacrer à ce qu'elle aime par-dessus tout : la cuisine. Avec l'aide de Kuma, un ami d'enfance, elle aménage un restaurant baptisé l'Escargot. Là, elle ne se consacrera qu'à une seule table par service, réalisant un repas unique spécialement imaginé pour répondre aux envies profondes des convives. Pour y parvenir, Rinco cueille des grenades juchée sur un arbre, déterre des navets enfouis sous la neige... et surtout cuisine comme elle méditerait : profondément recueillie, traitant les produits avec égard et ses hôtes avec respect, se mettant totalement au service de l'art culinaire que lui a enseigné sa précieuse grand-mère. Le succès est au rendez-vous et très vite la nouvelle se répand : la cuisine de Rinco fait des miracles. Elle réalise les voeux les plus profonds de ceux qui la dégustent, comble les amoureux...

Ce premier roman d'une auteure japonaise spécialisée dans la littérature pour enfant est une véritable réussite ; il contente le lecteur comme l'amateur de cuisine ! A travers cette fable des temps modernes, Ogawa Ito met à l'honneur la transmission, le partage, la générosité... et le slow food ! Avec douceur et poésie, elle mène son lecteur à l'essentiel : l'âme des choses et des êtres. J'ai pris un plaisir immense à savourer chaque ligne de ce récit que j'ai lu avec le coeur empli de joie. Car c'est bien de cela dont il s'agit : de la joie qu'il y a à partager ce que l'on aime ! Plus encore que les autres fois, je vous souhaite donc bonne lecture !

Ce livre a été adapté au cinéma par Mai Tominaga en 2010 


Rinco's restaurant bande annonce (un petit clic !)

samedi 15 août 2015

Le legs d'Adam

Astrid Rosenfeld
Traduit de l'allemand par Bernard Lortholary
Folio n°5968


En retraçant l'histoire de deux hommes liés non seulement par des liens de sang mais aussi par leur quête d'amour et d'identité, Astrid Rosenfeld livre un premier roman tout à fait abouti qui, sous couvert de relater des destins individuels, nous plonge dans l'histoire collective.

Edward, jeune berlinois désœuvré, n'a pas connu son père. Dans la famille, lorsqu'on le compare à quelqu'un, c'est à son grand-oncle Adam qu'on fait référence. "Ce jour de printemps, je ressemblais à tous les autres bébés. Mais d'année en année, la ressemblance s'accrut. Les yeux d'Adam, la bouche d'Adam, le nez d'Adam." 

Pourtant lorsqu'il s'agit d'en savoir plus sur cet aïeul, le mutisme est de mise. De quel crime s'est-il rendu coupable pour que son nom génère tant de colère ? Adam aurait abandonné les siens, les dépouillant de tous leurs biens. C'est du moins ce que croit avoir compris Edward, jusqu'à ce qu'il mette la main sur un carnet écrit par Adam à l'intention d'une certaine Anna. Ligne après ligne, c'est une toute autre vérité qui se révèle : celle d'un jeune homme qui, par amour, a renoncé à suivre sa famille en exil en Angleterre pour retrouver la trace de sa bien-aimée en Pologne, au coeur du ghetto de Varsovie.

La galerie de portraits croqués avec justesse et un certain humour par l'auteure témoigne de sa profession première : Astrid Rosenfeld est directrice de casting pour le cinéma. Peut-être pensait-elle à l'un ou l'autre comédien en dépeignant Edda klingmann, la grand-mère d'Edward, ou son professeur de violon ? Evitant tout pathos, ce roman en deux temps - dont on regrettera peut-être que la première partie ne soit pas aussi percutante que la seconde - révèle une plume de qualité et laisse à penser qu' Astrid Rosenfeld ne s'arrêtera pas à ce brillant coup d'essai. 


samedi 8 août 2015

La clandestine du voyage de Bougainville

Michèle Khan
Points n°4048


Décembre 1766. L'Etoile et La Boudeuse sont sur le point d'appareiller, toutes deux sous le commandement de M. de Bougainville. L'objectif des deux navires est ambitieux : faire le tour du monde afin, d'une part, de céder les îles Malouines aux Espagnols qui les revendiquent et, d'autre part, prendre possession de nouvelles terres au nom de la Couronne et ramener de ce périple des métaux précieux mais surtout des épices : vanille, muscade, poivre... suscitent la curiosité du Roi et de sa cour.

Une telle odyssée ne peut se concevoir sans l'expérience de scientifiques. L'astronome Pierre-Antoine Véron sera de la partie, tout comme le médecin botaniste et naturaliste Philibert Commerson. A ses côtés, à bord de L'Etoile, le savant bénéficie de l'aide et de la compagnie de son valet, Jean Bonnefoy. Un curieux homme, ce Jean Bonnefoy ! Petit, d'apparence frêle et quelque peu efféminé, il surprend les matelots par son courage et sa force mais les intrigue également. Et pour cause ! En réalité, Jean s'appelle Jeanne et n'est autre que la compagne de Commerson. Veuf, celui-ci a rencontré la jeune femme alors qu'il herborisait. Jeanne a appris à connaître les plantes en suivant sa mère dans les prés et les bois ; Commerson de son côté a fréquenté les bancs de l'université. Mais qu'importe : entre ces deux-là, l'amour de la nature se transforme rapidement en amour tout court ! Impossible pour le scientifique d'imaginer ce périple autour du monde sans sa fidèle compagne, et impossible pour elle d'imaginer un instant ne pas participer à une telle aventure. Mais à cette époque, la place des femmes n'est pas sur un bateau. Aussi Jeanne a-t-elle recours à un stratagème pour faire partie du voyage : se déguiser et se faire passer pour le valet du scientifique.

Le voyage, on s'en doute, n'est pas de tout repos. Conditions climatiques difficiles, débarquements impossibles en raison de populations indigènes hostiles, épidémies et manque de nourriture, suspicion quant à la véritable personnalité du valet... Michèle Khan nous fait revivre une épopée qu'on n'oserait plus imaginer de nos jours et le voyage est passionnant ! D'autant qu'il s'inspire d'une histoire vraie : Jeanne Barret et Philibert Commerson ne sont pas sortis de l'imagination de l'auteure, tout au plus a-t-elle romancé leur rencontre et leur voyage. Dépaysement garanti, même si vous ne quittez pas votre jardin !