Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 22 septembre 2013

Les invités de l'île

Vonne van der Meer
Traduit du néerlandais par Daniel Cunin
10/18 (Domaine étranger) N°4036


Située sur l'île de Vlieland aux Pays-Bas, la Rose de la Dune (Duinroos) est une maison qui accueille dès le printemps des visiteurs soucieux de venir se reposer au grand air. Avant leur arrivée, une "fée du logis" veille à ce que tout soit prêt, accueillant, chaleureux... et surtout, à ce que le livre d'or soit bien en place afin que chacun puisse témoigner de son passage en ces lieux apaisants.

A vrai dire, il ne se passe pas grand chose sur cette île. Et pourtant, dans cette maison de vacances un peu isolée, des histoires se tissent, se raccommodent... des destins s'écrivent. Ce pourrait être des nouvelles : chaque chapitre met en scène une personne, un couple, une famille... mais ce serait sans compter la maison, véritable clé de voûte de la narration de Vonne van der Meer.

Un couple tente de se reconstruire après l'infidélité du mari, une jeune femme s'interroge sur sa grossesse non désirée, trois amis aux relations ambiguës cherchent à clarifier leur situation amoureuse, un homme rumine un échec professionnel... La crise est présente, chez chacun, et pourtant peu à peu, un certain apaisement s'installe, comme si les murs, les nombreux objets amassés ou ramassés, bout de bois flotté, plume ou coquillages... parvenaient à calmer les angoisses, les inquiétudes. Comme si chaque craquement de marche apportait le début d'une réponse.

De tous ces cheminements, celui qui m'a le plus touchée est celui de ce vieil homme, veuf, arrivé sur l'île avec l'intention de se suicider, tout en donnant à son acte les apparences évidentes d'un accident pour ne pas attrister davantage encore ses filles. De la lettre qu'il veut leur envoyer au maillot de bain qu'il achète pour effectuer son dernier bain, en passant par les provisions qu'il fait afin de remplir son frigo, il construit une véritable mise en scène destinée à tromper ses proches. Mais au fur et à mesure qu'il prépare son départ, c'est la vie qui se réinstalle, l'étincelle qui renaît et qui, comme chantait Brel, fait "rejaillir le feu de l'ancien volcan qu'on croyait trop vieux". Il suffit parfois d'une étoile de mer intacte, d'un cheval qui vous lèche la main de sa langue râpeuse ou du goût d'une crêpe au lard et au sirop d'érable !

Ce livre est le premier de la Trilogie de Duinroos. Le deuxième récit, "Le bateau du soir" est également disponible chez 10/18, domaine étranger, contrairement au "Voyage vers l'enfant", dernier volet de la trilogie, à venir sans doute !


Texel, Pays-Bas (© sylvie Strobl)

dimanche 15 septembre 2013

La relieuse du gué

Anne Delaflotte Mehdevi
Babel n°1185


Je ne vous emmène pas très loin cette semaine ! A défaut de voyage dans d'autres contrées, je vous propose un roman plein d'odeurs, de senteurs... un voyage à travers les sens et à travers l'histoire. Un de ces petits bijoux qui, dès les premières pages, vous donne envie de vous caler confortablement dans un fauteuil, devant une théière fumante, et de ne plus en bouger, juste tourner les pages...

Après avoir mené brièvement une carrière de diplomate, Mathilde est revenue à l'essentiel : marchant sur les traces de son grand-père, elle s'adonne à la reliure. C'est dans un petit village de Dordogne qu'elle a installé son atelier, loin de Paris et de ses tumultes. Elle s'y est fait quelques amis mais ses journées, c'est principalement avec les livres qu'elle les passe, et en compagnie de Cyrano de Bergerac dont elle a toujours un exemplaire à portée de main afin de s'y ressourcer. 

Dans son atelier où papiers, cuirs, outils et fers à dorer se côtoient, elle redonne vie aux livres qui ont souffert, les recoud, les recolle, leur consacre toute son attention... Un matin, un personnage énigmatique vient lui confier un ouvrage qu'il porte comme un trésor et qui contient des dessins et aquarelles de belle facture. Mathilde est à la fois fascinée par le visiteur et par le volume qu'il lui confie. Quelques heures plus tard, l'homme décède, renversé par une voiture, et la jeune femme - qui ignore jusqu'à son nom - se retrouve dépositaire d'un livre dont elle veut percer les secrets. Commence alors une quête qui la mène d'une forêt de châtaigniers à un ancien moulin, d'une colline à un chantier de fouilles... et qui, au gré des rencontres, lui permet peu à peu de reconstituer l'histoire de l'inconnu et de son livre, mais aussi l'histoire d'une famille, d'un village... avant  de toucher du doigt sa propre trajectoire familiale.

Avec ce premier roman, Anne Delaflotte Mehdevi nous ouvre les portes d'un métier qu'elle connaît bien puisqu'elle le pratique. Au-delà du relieur, c'est aux artisans en général qu'elle rend hommage à travers ses personnages, qu'ils soient horloger, cordonnier, boulanger... Son écriture fluide nous plonge dans un univers d'odeurs et d'authenticité : parfums du cuir et de la colle, de la forêt et de l'humidité, des chouquettes et du pain frais... 
Roman  de transmission et de filiation, à l'écriture sensible, "La relieuse du gué" est un livre chaleureux qui excelle à créer une atmosphère et à procurer une émotion douce et profonde. Ne vous en privez pas !


"Les couvertures (...) étaient recouvertes de maroquin couleur d'un caramel blond..." (© Sylvie Strobl)

dimanche 8 septembre 2013

Le miel d'Harar

Camilla Gibb
Traduit de l'anglais (Canada) par Paule Noyart
Babel N°1147


Sur les conseils d'une lectrice avisée, j'ai découvert le livre de Camilla Gibb, "Le miel d'Harar". Dès les premières pages, j'ai été happée par l'histoire de Lilly, jeune anglaise élevée par des parents bohèmes qui décèdent au Maroc alors qu'elle n'est encore qu'une enfant. Prise en charge par un maître Soufi qui l'initie à une lecture ouverte et tolérante du Coran, Lilly se rend en Ethiopie avec son frère afin de se recueillir sur le tombeau de leur saint protecteur. Mais là où Hussein trouve une légitimité, son statut de femme blanche constitue un véritable handicap et la met à l'écart de la société. 

A Harar, quatrième ville sainte de l'islam, la jeune femme tente malgré tout de se faire accepter. Dans le quartier défavorisé où elle s'est installée, elle enseigne le Coran à des enfants et cherche à conjuguer l'islam exigeant mais ouvert qu'on lui a transmis avec un islam plus traditionaliste dans lequel elle ne se reconnaît pas toujours. Son quotidien se partage entre une forme de survie et les moments d'espoir que lui apportent ses rencontres avec le Dr Aziz, un médecin noir dont elle tombe peu à peu amoureuse. Bientôt pourtant, ce sera à nouveau l'exil : les troubles politiques du début des années '70 conduisent peu à peu à l'insécurité ; le régime d'Haïlé Séllassié vacille et Lilly se voit contrainte de fuir ce pays qu'elle a adopté et de quitter l'homme qu'elle aime.
Réfugiée à Londres où se recrée peu à peu des racines auprès de la communauté éthiopienne, Lilly devra se reconstruire, tout en tentant de faire le deuil de son pays et de son amour.

Roman foisonnant, riche en couleurs, en senteurs... riche aussi par les personnages qui le traversent et par les traditions qu'il décrit, "Le miel d'Harar" est dépaysant à chaque ligne, qu'elle se situe en Ethiopie ou en Angleterre. En nous faisant partager le destin de Lilly, Camilla Gibb nous offre une formidable leçon d'histoire. Elle nous ouvre aussi à une réflexion sur l'islam par le biais de deux "écoles" différentes : le soufisme et le traditionalisme, pour ne pas dire l'intégrisme.
Voilà un livre qui mérite une lecture attentive, en profondeur, pour en saisir tous les méandres, et qui ne se laisse pas oublier, une fois la dernière ligne achevée. Merci à Emilie de m'avoir incitée à le lire, en espérant à mon tour vous donner l'envie de vous y plonger !

dimanche 1 septembre 2013

Deux zèbres sur la 30e Rue

Marc Michel-Amadry
Pocket n°15389


Au zoo de Gaza, les zèbres sont morts de faim et le directeur, Mahmoud Barghouti, a eu une idée géniale pour continuer à amuser les enfants : il a peint deux ânes de rayures noires et blanches afin de faire illusion !
Lorsque James, correspondant de guerre américain, découvre cela, c'est toute son existence qui s'en trouve bousculée. Lui, l'homme désabusé dont la vie n'a plus guère de sens, voit dans ce gentil subterfuge un acte de résistance emblématique contre la tristesse et la violence. Plutôt que d'écrire un énième récit sur les conflits qui agitent la région, il décide de publier dans son journal l'histoire de cet homme et de son "zoo de la joie". Parallèlement, il met tout en oeuvre pour l'aider à repeupler son parc animalier. Contre toute attente, il parvient à convaincre Mahmoud de venir à New-York - la ville de tous les dangers pour ce Palestinien - afin de lui faire rencontrer des personnes qui l'aideront à trouver girafes, éléphants et autres léopards, et surtout lui permettront de faire passer ces animaux dans la légalité. 

Si pour Mahmoud la rencontre avec James est une aubaine, pour celui-ci elle est une renaissance qui lui permet de s'ouvrir à nouveau à la vie et aux autres : c'est comme cela qu'il fait la connaissance de Jana, jeune Disc Jockey allemande dont il ne tarde pas à tomber amoureux.
De leur côté, Mathieu, jeune consultant français, et Mila, artiste peintre, se sont séparés pour fuir une relation trop fusionnelle. Chacun essaie de respecter le territoire de l'autre, mais secrètement tous deux n'ont qu'un espoir : se retrouver. Lorsque Mathieu découvre dans le journal l'histoire un peu folle du zoo de Gaza, cela lui donne une idée géniale pour reconquérir le coeur de Mila...

Chassé-croisé entre cinq individus sur le point de changer de vie, ce petit livre est bien plus qu'une simple histoire de rencontres et d'amour. Sur fond de conflit israélo-palestinien, Marc Michel-Amadry (qui signe ici son premier roman) parvient à nous parler de joie, de bonheur à construire, d'utopie aussi... et surtout à nous faire croire que le "possible" n'est pas si loin. Fable ou conte des temps modernes, la morale de ce récit ressemble à s'y méprendre à la célèbre phrase que Mark Twain écrivait il y a deux siècles déjà : "Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait". Quel beau programme pour entamer septembre avec optimisme et énergie. Alors à toutes et à tous, bonne rentrée !