Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 22 février 2015

La Harpe de Birmanie

Michio Takeyama
Traduit du japonais par Hélène Morita
Editions du Serpent à Plumes, collection Motifs n°269


Birmanie, été 1945. Après la capitulation de leur pays, de nombreux soldats japonais, épuisés par les hostilités, sont faits prisonniers par les troupes britanniques. Les affrontements ont été rudes et beaucoup de combattants n'en ont pas réchappé. Toutefois, parmi ces hommes, une compagnie semble avoir mieux résisté que d'autres. Menée par un capitaine courageux et proche de ses subordonnés, elle a puisé sa force dans la pratique du chant : "C'est vrai que nous chantions. Dans les moments heureux ou dans les moments difficiles, nous chantions. Peut-être notre état d'esprit était-il tel parce que nous ne savions pas quand se produirait le combat suivant ou quand nous-mêmes allions mourir. En tous cas, tant que nous étions encore vivants, nous voulions au moins accomplir quelque chose de beau et nous chantions de tout notre coeur".

Pour accompagner cette étrange chorale capable d'interpréter des compositions complexes à plusieurs voix, le caporal Mizushima s'est improvisé harpiste. Au moyen d'un instrument fabriqué avec les moyens du bord, il produit des sons mélodieux, propices à accompagner le chant de ses camarades. Rapidement, Mizushima devient le personnage central du récit. Parti en éclaireur dans les forêts birmanes pour rejoindre d'autres soldats japonais, il disparaît, laissant ses camarades faits prisonniers dans une réelle détresse. Qu'est-il devenu ? Et qui est ce moine qui apparaît de temps à autres, dont les traits évoquent ceux du soldat manquant, qui semble investi d'une mission importante ? 

Il faudra attendre le rapatriement de la compagnie au Japon pour que s'éclaircisse le mystère de la disparition du caporal et qu'apparaisse au grand jour la mission que s'est assignée le moine : enterrer les corps des soldats japonais abandonnés dans la jungle, leur donner une sépulture digne de ce nom et prier pour le repos de leur âme.

Ce livre m'a touchée et émue par la poésie qui s'en dégage, même au milieu des champs de batailles. Ecrit en 1947, s'inspirant de récits authentiques, il pose un regard plein d'humanité sur des peuples que tout oppose alors qu'ils ne sont, en réalité, guère différents. La place qu'occupe la musique, fil conducteur du récit, n'est pas sans rappeler l'épisode de la trêve de Noël qui eut lieu sur nos champs de bataille à l'hiver 1914. 

Porté à l'écran par Kon Ichikawa en 1956, le roman de Michio Takeyama témoigne de la rudesse de la guerre tout en se présentant comme un formidable hymne à la paix et à l'unité. En cela, il se révèle d'une absolue nécessité et d'une grande actualité.



Bande-annonce du film de Kon Ichikawa


dimanche 15 février 2015

Le marcheur de Fès

Eric Fottorino
Folio n°5886


Eric Fottorino aurait pu porter un autre patronyme si sa mère avait épousé l'homme qu'elle aimait et dont elle était enceinte, un médecin juif marocain venu terminer ses études en France. Mais dans les années '60, une telle situation provoquait encore des drames dans les milieux bien-pensants et la jeune femme, répudiée par sa famille, se retrouva seule avec son fils. Quelques années plus tard, elle se maria avec Michel Fottorino qui donna son nom à Eric.

La question de l'identité et de la filiation n'a cessé de tarauder l'auteur. En 2012, il décide de partir avec son père biologique à Fès, là où ce dernier vécut sa jeunesse. Mais la maladie est là, qui empêche le vieil homme de se déplacer, aussi Eric Fottorino entreprend-il seul ce pèlerinage. 

Dans l'ancien quartier juif du Mellah qui abritait quelque 20.000 Juifs du temps du protectorat français, Eric parvient à retrouver quelques âmes qui ont connu son père et sa famille. De témoignages en souvenirs, il retrace les contours de l'histoire de Moshé Maman, devenue Maurice Maman, son père, mais aussi celle de Ninette, la soeur de son père décédée à 17 ans dans un accident de voiture. Peu à peu, au-delà de l’histoire individuelle se dessine en filigrane le destin des Juifs marocains dont la plupart ont émigré.

L'itinéraire auquel nous convie Eric Fottorino n'a rien de touristique. S'il flâne au gré des ruelles de Fès, c'est pour y (re)trouver des émotions qui transparaissent à la fois avec force et retenue. Nombreux sont les pavés qui portent encore les traces de pas de son père. Jusqu'à ce qu'il se rencontre lui-même, à l'improviste : une photo de son sosie dans un petit musée juif lui permet enfin de comprendre pourquoi, si longtemps, il s'est senti comme un imposteur à sa propre existence. En renouant avec son père, c'est aussi sa propre judaïté qu'il se réapproprie.



dimanche 8 février 2015

Une odeur de gingembre

Oswald Wynd
Traduit de l'anglais par Sylvie Servan-Schreiber
Folio n°4406


La jeune Mary Mackenzie a à peine 20 ans lorsqu'elle quitte son Ecosse natale et embarque pour la Chine afin d'y épouser Richard Collinsgsworth, un attaché militaire britannique auquel elle est fiancée. Dès la traversée, le voyage met à mal les certitudes de la jeune femme qui prend le parti de confier ses interrogations et ses états d'âme à un journal. Nous sommes le 9 janvier 1903 lorsque Mary écrit ses premières lignes ; les dernières sont datées de 1942. 

Entre ces deux dates, Mary écrit avec plus ou moins de régularité, en fonction des événements qui surviennent dans son existence. Une existence qui est tout sauf un long fleuve tranquille. L'adaptation à Pékin, au lendemain de la Révolte des Boxers, se révèle à la fois difficile et passionnante pour la jeune femme dont le comportement s'éloigne rapidement de ce que l'on attend traditionnellement d'un membre de la communauté européenne. Souvent seule au gré des missions accomplies par son époux, Mary ne tarde pas nouer une relation avec un officier japonais dont elle aura un enfant. Rejetée par son mari, mise au ban de la société britannique mais aussi chinoise, Mary fuit la Chine pour le Japon où de nouvelles péripéties l'attendent. Au gré des réflexions inscrites dans son journal mais aussi de lettres qu'elle adresse à sa mère restée en Ecosse et à Marie, une expatriée avec laquelle elle s'est liée d'amitié, c'est à la fois l'histoire de son émancipation et de ses nombreux combats qu'elle nous conte, mais aussi celle de la Chine, puis du Japon, sur fond de conflits européens qui ne tardent pas à avoir des répercussions sur le continent asiatique et sur la vie des expatriés.

Dès les premières pages, Mary se révèle être un personnage très attachant. Cette forte personnalité, capable de s'affranchir d'une éducation traditionnelle pour lutter de toutes ses forces contre une société emplie de préjugés, capable aussi d'assumer les conséquences de ses choix, fussent-elles dramatiques, n'en reste pas moins fidèle à ses idées et à ses amitiés à travers le temps. Son intelligence, sa volonté de comprendre le monde dans lequel elle évolue et de défendre son indépendance dans une société où la femme n'existe que pour et par sa famille en font un personnage extrêmement contemporain et une "compagne de voyage" que l'on quitte à regret !