Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 31 août 2014

La mer, le matin

Margaret Mazzantini
Traduit de l'italien par Delphine Gachet
10/18 n°4814


Jamila fuit la Libye et la guerre qui lui a pris son mari. Elle n'a qu'un espoir : mettre son fils Farid à l'abri du conflit en s'embarquant sur un rafiot de fortune en compagnie d'autres réfugiés pour gagner la Sicile. 
Angelina est née et a grandi en Libye avant d'être, comme tous les colons italiens, chassée par le régime de Khadafi. Elle vit en Sicile où elle se sent étrangère et n'a qu'un rêve : retourner sur les terres de son enfance avec son fils Vito, un jeune homme en mal de vivre.
Deux femmes, deux destins d'une rive à l'autre de la Méditerranée : la mer comme une espérance, synonyme de fuite ou de retour.

Avec une infinie justesse et une sensibilité à fleur de page, Margaret Mazzantini nous mène sur les traces de ces migrants prêts à tous les sacrifices pour contrer le destin. Loin de nous dépeindre une situation misérabiliste ou larmoyante, l'auteur place le récit sous le signe du courage et de la volonté incarnés par ces mères qui, sans même le savoir, écrivent un fragment de l'histoire. 

En lisant ces lignes, comment ne pas penser à ces images trop souvent répétées  : ces gens au bord du désespoir qui sacrifient jusqu'à leur dernier sou pour trouver une terre d'accueil où, enfin, ils pourront vivre sans la peur au ventre ? Comment ne pas penser à tous ces pays en guerre où les civils paient cher la folie de ceux qui les gouvernent ? Et comment ne pas savourer la chance de vivre dans des lieux où règne la paix ? 

Au moment où je terminais la lecture de "La mer, le matin", les médias annonçaient la disparition de 170 Africains au large des côtés libyennes, à l'est de Tripoli, après que l'embarcation en bois sur laquelle ils avaient embarqués ait chaviré. Lire le livre de Margaret Mazzantini m'a paru soudain encore plus indispensable...

samedi 23 août 2014

La grande embrouille

Eduardo Mendoza
Traduit de l'espagnol par Françoise Maspero
Points n°3273


C'est dans une Espagne en crise, dans les bas-fonds de Barcelone, que Mendoza situe son roman qu'il aurait tout aussi bien pu baptiser "La grande débrouille" ! Sur fond d'investigation, on y croise Vito, un coiffeur délaissé par sa clientèle, une famille de restaurateurs chinois, un accordéoniste, un artiste jouant les statues vivantes, un swami professeur de yoga, une adolescente dévoreuse de glaces... tous réunis par un même objectif : retrouver le Beau Rómulo qui a disparu après avoir annoncé qu'il fomentait un mauvais coup.

Vito et Rómulo s'étaient rencontrés alors qu'ils purgeaient une peine dans un centre pénitentiaire pour délinquants souffrant de troubles mentaux. Une fois sortis de cet établissement, chacun avait poursuivi sa route : coiffeur pour l'un, concierge pour l'autre. Et puis soudain, des années plus tard, voilà que Rómulo refait surface, proposant à Vito de l'assister sur un coup avant de s'évaporer littéralement, laissant femme et belle-fille désemparées. Commence alors une enquête menée par Vito et ses amis qui découvrent rapidement qu'en plus de mettre la main sur Rómulo, il leur faut déjouer une attaque terroriste visant Angela Merkel ! 

L'humour et la fantaisie sont présents à toutes les pages de ce roman qui se lit comme un polar mais relève autant de la fable que de la fresque sociale. Mendoza balade son lecteur dans une ville accablée par la chaleur estivale, l'expose à des situations burlesques, à des personnages paumés mais attachants, à des excès toujours mesurés.... pour, au final, le divertir avec brio et intelligence. Pour ma part, j'ai adoré cette lecture délassante et revigorante !


Barcelone, Parc Guell (© Sylvie Strobl)

lundi 11 août 2014

Neige

Maxence Fermine
Points n°804


Yuko a 17 ans : l'âge de tous les possibles. L'âge, pour ce fils de prêtre shintoïste, de choisir un métier. Dans la famille du jeune homme, on se partage entre la religion et l'armée. Mais Yuko rêve d'autre chose. Au grand dam de son père, il veut devenir poète et consacrer son existence à écrire des haïku et à "regarder passer le temps".
Outre la poésie, Yuko a une autre passion : la neige. "La neige est un poème. Un poème d'une blancheur éclatante. Elle recouvre en janvier la moitié nord du Japon. Là où vivait Yuko, la neige était la poésie de l'hiver". Alors chaque jour, Yuko part dans la montagne, s'installe au même endroit et compose des poèmes sur la neige.

Jusqu'au jour où le poète officiel de la cour découvre les oeuvres du jeune homme et les trouve de belle facture. Toutefois, il y décèle un petit défaut : les mots utilisés par Yuko pour chanter la neige manquent de couleur. Ce qui lui fait défaut, c'est la connaissance d'autres formes artistiques : sait-il danser, peindre, calligraphier, composer ? "La poésie est avant tout la peinture, la chorégraphie, la musique et la calligraphie de l'âme. Un poème est un tableau, une danse, une musique et l'écriture de la beauté tout à la fois". Seul un maître peut enseigner toutes ces disciplines à Yuko et l'aider à faire vibrer ses mots : l'ancien samouraï et vieux peintre aveugle Soseki. Le jeune artiste s'engage donc dans un voyage à travers les montagnes enneigées pour rejoindre le vieil homme et bénéficier de son enseignement. Entre l'élève et le maître, la compréhension et la transmission seront totales et d'autant plus fortes que l'image entrevue par Yuko d'une jeune femme enterrée dans un cercueil de glace feront renaître, chez Soseki, les émois d'un amour passé.

Totalement épuré, ce premier roman de Maxence Fermine m'a séduite par sa justesse de ton et d'écriture. L'auteur y fait preuve d'un grand talent et d'une réelle maîtrise des mots. Aucun n'est superflu, aucun ne fait défaut. D'une grande poésie, rédigé en courts chapitres, Neige est une invitation à la lenteur, à la contemplation, à la méditation. Univers de douceur floconneuse sans mièvrerie à savourer, à lire et à relire pour s'en imprégner, en saisir toutes les sonorités et les nuances. 

Découvrez aussi Le papillon de Siam du même auteur


dimanche 3 août 2014

Les larmes du seigneur afghan

Campi / Zabus / Pascale Bourgaux
Aire Libre


J'ai beaucoup d'admiration pour les femmes grands reporters et plus encore pour celles dont le métier s'exerce dans des coins du globe où le statut de la femme est tout sauf enviable. Parmi ces journalistes de talent, Pascale Bourgaux m'a toujours impressionnée par la qualité de son travail et sa profonde humanité. Grande connaisseuse de l'Afghanistan où elle s'est rendue à de nombreuses reprises, elle témoigne ici de l'évolution d'un village du nord du pays qui fut un modèle de la résistance anti-talibane.

Mars 2010 : bien que la RTBF lui ait fortement déconseillé d'entreprendre le voyage pour des raisons de sécurité, P. Bourgaux s'embarque en direction de Kaboul avant de rejoindre Dasht-E-Qaleh et d'y retrouver Mamour Hasan, un chef de guerre chez qui elle a été hébergée à de nombreuses reprises lors de ses reportages. Durant toute la guerre, l'homme s'est illustré par sa lutte contre le régime taliban et la journaliste a noué avec lui et ses proches une relation de confiance importante pour exercer à bien son métier. 
Pourtant, dès son arrivée, la reporter perçoit que les choses ont changé. Même si le vieil homme conserve son autorité, certains dans son village et parmi ses très proches, déçus par le pouvoir mis en place après le départ des Américains, se tournent vers l'ancien ennemi. Comment les choses ont-elles pu changer à ce point ? L'interrogation et l'investigation menées par la journaliste se doublent de ses propres questionnements par rapport à son métier, à ses peurs parfois, à la façon dont on peut rendre compte, en occident, de situations dont la complexité fait que nous en avons souvent une vision tronquée, imprégnée de notre conception occidentale de la société, oubliant souvent la réalité locale qui rend le quotidien beaucoup plus nuancé qu'il ne nous paraît.

A l'origine de cette bande dessinée, la réalisation d'un documentaire tourné par la journaliste. En lui offrant un prolongement graphique, nul doute que P. Bourgaux, Th. Campi et V. Zabu toucheront un plus large public, sans doute différent aussi. A classer au rang d'autres ouvrages du genre consacrés à l'Afghanistan comme l'excellent travail de Guibert, Lefèvre et Lemercier, pour l'album Le Photographe.