Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

Affichage des articles dont le libellé est Etats-Unis. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Etats-Unis. Afficher tous les articles

dimanche 6 mars 2016

L'ours est un écrivain comme les autres

William Kotzwinkle
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Nathalie Bru
10/18 n°5015


C'est l'histoire d'un ours qui se prend pour un homme et celle d'un homme qui devient un ours ! L'homme, c'est Arthur Bramhall, professeur d'université et écrivain, persuadé d'avoir commis l'oeuvre du siècle, ou presque ! Echaudé par la perte d'un premier manuscrit qui a fini en cendres après un incendie, il décide d'enterrer sa prose au pied d'un arbre afin de la protéger. 
A peine a-t-il le dos tourné qu'un ours, qui n'a rien perdu de la scène, s'en vient déterrer la mallette, pensant découvrir quelque douceur apte à combler sa gourmandise. Une fois la déception passée de n'y trouver que du papier, l'animal réalise qu'il y a là une opportunité formidable : faire éditer le livre en se faisant passer pour l'auteur et accéder ainsi au monde des humains, lesquels ont des supermarchés, des frigos, des buffets... remplis de sucreries !

Le manuscrit sous le bras, vêtu d'un costume qui lui donne belle allure, notre plantigrade se rend à New-York où, rapidement, il devient la coqueluche du monde de l'édition sous le nom de Dan Flakes. Personne ne peut résister à cet écrivain charismatique, venu d'on ne sait où, au comportement insaisissable et aux paroles souvent décalées... mais puisqu'il est l'auteur d'un tel chef-d'oeuvre, on ne peut que l'encenser ! Et tous, des attachés de presse aux journalistes en passant par les éditeurs, le hissent au pinacle de telle manière que, rapidement, son livre caracole en tête des ventes.

Et Arthur Bramhall, me direz-vous ? Dépité de s'être fait voler son manuscrit par un ours, il entreprend des recherches pour tenter de retrouver l'animal. Mais celles-ci s'avèrent vaines et, progressivement, il s'éloigne du monde des humains et se réfugie dans la nature, jusqu'à trouver un certain répit dans une caverne où il entre en hibernation !

Qu'un écrivain se moque à ce point de son univers est assez drôle car, on l'aura compris, au-delà de l'humour typiquement anglo-saxon qui sous-tend ce livre, la satire du monde de l'édition est bien réelle et chacun - si vous me passez l'expression - en prend pour son grade ! Les médias ne sont pas épargnés, eux qui sont capables de créer le buzz de toute pièce ou d'ignorer un talent au prétexte qu'il ne fait pas partie du cénacle !

Mais tout à une fin, même le succès. Et quand on y a goûté, c'est comme le sucre : il est difficile de s'en passer - surtout pour un ours qui a plus d'un tour dans son sac !


dimanche 7 février 2016

L'histoire la plus incroyable de votre vie

Chitra Banerjee Divakaruni
Traduit de l'anglais (Inde) par Mélanie Basnet
Picquier Poche


Ils sont neuf inconnus réunis dans une même attente au service des visas d'un consulat indien aux Etats-Unis. Alors qu'ils espèrent être appelés au guichet, un tremblement de terre se produit, détruisant en partie le bâtiment dans lequel ils se trouvent. Heureusement, aucun d'entre eux n'est grièvement blessé mais, dans l'impossibilité de sortir, une urgence s'impose : organiser leur survie. Dans un premier temps, ce sont surtout les besoins élémentaires qui les occupent : se nourrir, s'hydrater, se mettre à l'abri d'un éventuel éboulement...

Commence alors une longue attente où peu à peu, sous l'effet de l'anxiété, les esprits s'échauffent. Afin de ramener un peu de calme et d'occuper le temps, l'un d'entre eux propose que chacun raconte une histoire. Mais pas n'importe laquelle : l'histoire la plus incroyable de leur vie, ce moment particulier qui a profondément modifié le cours de leur existence.

Amours contrariées, enfance traumatisante, tentative de suicide... tous se dévoilent peu à peu, livrant à de parfaits inconnus la part la plus intime de leur être. Dans ce lieu dont ils ne savent pas s'ils sortiront vivants, chacun écoute avec le plus profond respect, faisant fi des différences de cultures, de religions... L'empathie qu'ils développent modifie profondément leur perception de ces heures difficiles. 

Ce huis clos que l'on imaginerait sans difficulté sur une scène de théâtre se lit d'une traite tant l'auteur a su rendre attachantes les narrations de ses personnages. En filigrane, la question de la délivrance constitue une sorte de point d'orgue mais c'est surtout le pouvoir des mots - véritables guérisseurs de l'âme - qui donne toute sa force au récit. 


Temple de Brihadesvara, Tanjore (Tamil Nadu) 

dimanche 22 novembre 2015

Quand l'empereur était un dieu

Julie Otsuka
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bruno Boudard
10/18


L'attaque menée par les Japonais sur Pearl-Harbour en 1941 provoqua l'entrée des Etats-Unis en guerre aux côtés des alliés. Elle fit naître sur le continent américain un profond sentiment anti-japonais auquel furent confrontés des milliers de Nippo-américains parfaitement intégrés. En réaction à cette attaque, le FBI procéda à l'arrestation et à l'internement de milliers de Nippons qui furent proclamés "totalement inassimilables et loyaux à l'empereur". Des familles entières furent déplacées vers des "Relocation Centers" (en réalité, des camps de concentration) disséminés dans l'ouest des Etats-Unis ; elles y furent maintenues jusqu'à la fin du conflit. 

Dans ce qui est son premier roman, Julie Otsuka nous invite à partager le destin d'une de ces familles. Un matin, le père est arrêté sans un mot, sans une explication. Peu après, la mère et les enfants (un jeune garçon et sa soeur aînée) sont déportés. Ils embarquent à bord d'un train, ignorants de leur destination mais conscients de la précarité de leur avenir. Derrière eux, ils laissent leur maison, leurs souvenirs, leur vie.

Dans le camp, la vie s'organise au quotidien. Les baraquements, les files, la promiscuité... chacun réagit différemment. Si la mère semble faire preuve d'une force tranquille, elle cède pourtant à un désespoir silencieux. Le fils, très attaché à son père dont il guette les moindres courriers, semble être celui qui souffre le plus de ce déracinement. La fille quant à elle, aux portes de l'adolescence, est surtout animée par une pulsion de vie.

A la fin de la guerre, chacun est renvoyé chez soi avec un billet de train et 25$ dans la poche. La vie reprend son cours, même si dorénavant, dans le quartier, tous évitent de croiser le regard de ces "revenants". Un jour enfin, c'est le père qui réapparaît, méconnaissable... Ce qui illustre un épisode historique est le témoignage d'une profonde injustice envers des innocents. Le dernier chapitre du roman en témoigne avec une force décuplée.

Outre le fait qu'il s'inspire de faits réels ayant directement touché sa famille, ce qui donne de la puissance au texte de J. Otsuka, c'est paradoxalement le détachement avec lequel elle construit son récit. Pas de nom ou de prénom pour les personnages principaux, pas ou peu de détails physiques... L'histoire de cette famille symbolise celle de toutes les familles déportées. Le style épuré et le ton narratif sans emphase donnent à ce récit une intensité et une dignité que l'on retrouve, par ailleurs, dans un autre de ses romans, Certaines n'avaient jamais vu la mer.

On ressort de cette lecture profondément touchés et plus que jamais conscients de la fatalité qu'il y a à se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. En cela, l'histoire n'a malheureusement pas fini de se réécrire.


dimanche 15 mars 2015

L'art d'écouter les battements de coeur

Jean-Philippe Sendker
Traduit à partir de la version anglaise de Kevin Williarty par Laurence Kiefé
Livre de Poche n° 33665


Julia, jeune avocate new-yorkaise, avait tout pour être heureuse jusqu'à ce que son père, avocat de renom, disparaisse sans laisser de trace. Parti un matin pour un soi-disant rendez-vous à Boston, Tin Win n'est jamais rentré chez lui. Après quelques recherches infructueuses, son passeport est découvert à Bangkok, non loin de l'aéroport. C'est la dernière trace de cet homme dont la vie semblait pourtant bien rangée.

Quatre ans après cette mystérieuse disparition, feuilletant divers papiers ayant appartenu à son père, Julia y découvre la trace d'un amour passé qu'il aurait entretenu avec une jeune femme, Mi Mi, alors qu'il vivait encore en BIrmanie. Curieuse d'en savoir plus, elle s'embarque pour le pays natal de son père, espérant le retrouver et comprendre pourquoi il a tout quitté du jour au lendemain, sans aucune explication. 

Dans le village où Tin Win a grandi, la jeune femme rencontre un vieillard qui semble la connaître et l'attendre. Incontestablement, il a des choses à lui révéler. D'abord méfiante et pleine d'a priori, Julia se laisse peu à peu prendre au récit de U Ba qui va lui révéler l'histoire étonnante de son père et de Mi Mi, son amour de jeunesse. Un amour profond entre une jeune fille handicapée, née avec des pieds difformes qui l'empêchent de marcher, et un jeune homme devenu aveugle après que sa mère l'eut abandonné. Un amour porté par la capacité très particulière de Tin Win d'entendre les battements de coeur des êtres vivants, hommes ou animaux, et d'en comprendre les émotions. Un amour brutalement interrompu par un oncle désireux d'améliorer son karma et qui, pour y parvenir, arrache Tin Win à son village pour lui offrir une nouvelle existence : une opération qui lui permet de recouvrer la vue et des études à l'étranger qui transforment le jeune homme en apparence, même si Mi Mi reste bien présente dans son coeur et ses pensées.

Sur fond de spiritualité orientale et de découverte d'un pays peu exploré par la littérature, J.-Ph. Sendker livre un roman "sentimental" teinté d'exotisme qui reste un peu convenu. Le style fluide contribue, certes, à une lecture agréable mais "L'art d'écouter les battements de coeur" ne fait pas partie de ces récits qui vous happent et ne vous lâchent plus, même lorsque la dernière page est tournée. Il s'en serait fallu de peu, sans doute, pour faire de ce roman autre chose qu'un "Best-seller international traduit dans 25 pays" qui s'inscrit dans un style littéraire bien dans l'air du temps, mêlant spiritualité, recherche de ses racines, développement personnel et bons sentiments. 

Ce livre m'a été proposé par Babelio dans le cadre de l'opération Masse Critique.


"Des robes de moines rouge foncé séchaient sur un fil..." (Monastère de Mahagandayon, Amarapura, Birmanie).

dimanche 27 juillet 2014

La singulière tristesse du gâteau au citron

Aimee Bender
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy
Points n°3194


Le jour de ses 9 ans, Rose, les yeux brillants de plaisir, s'apprête à dévorer le gâteau au citron confectionné par sa mère pour l'occasion. La première bouchée lui suffit pour se rendre compte que, loin d'être trop acide ou trop sucré, un peu sec ou pas assez cuit, le gâteau manque d'âme. A la 2ème bouchée, Rose comprend qu'elle est capable de ressentir les émotions de ceux qui l'entourent à travers les plats qu'ils ont cuisinés. Et soudain s'impose à elle comme une évidence que "les mains habiles de (sa) mère avaient confectionné ce gâteau et son esprit avait su comment équilibrer les ingrédients, mais elle n'était pas à ce qu'elle faisait, ne se sentait pas concernée". 

Dès lors, les repas perdent de leur saveur mais gagnent en psychologie ! Et de la psychologie, il en faut pour tenir sa place dans cette famille de la middle-class américaine où le père ne vit que pour son travail, où la mère trompe son mal-être en prenant un amant et où Joe, le frère intelligent mais incapable de ressentir des émotions, est lui aussi doté de pouvoirs pour le moins particuliers...

Cette découverte transforme la vie de Rose ; ce que certains considèrent comme un don frise la malédiction pour la fillette dont le rapport au monde et aux êtres qui l'entourent se trouve complètement bouleversé. Plus moyen de manger sans être assaillie de sensations parfois bien trop fortes pour une enfant de son âge, qui étouffent ses propres émotions. La fillette devient une adolescente renfermée puis une jeune femme qui peine à se construire, jusqu'à ce que ce soit la cuisine qui lui permette de se révéler.

Avec ce roman initiatique doux-amer, Aimee Bender nous conduit dans un univers où réel et fantastique se côtoient et s'enchevêtrent sans pour autant abandonner le lecteur au bord du chemin : on est loin d'un onirisme à la Murakami ! Il faut dire que l'humour n'est jamais loin et que la petite Rose est un personnage bien attachant. Un livre à savourer en se laissant porter, sans chercher à établir ce qui est possible ou ne l'est pas.



mardi 7 janvier 2014

Inconnu à cette adresse

Kressmann Taylor
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michèle Lévy-Bram
J'ai lu n°9914


Publié aux Etats-Unis deux ans avant le début de la seconde guerre mondiale, "Inconnu à cette adresse" consiste en un échange épistolaire entre deux amis. Associés au sein d'une galerie d'art à San Francisco, tous deux allemands, Max Eisenstein, d'origine juive, et Martin Schulse partagent bien plus qu'un goût prononcé pour l'art. Une amitié indéfectible les lie et le départ de Martin qui regagne Munich avec sa famille en 1932 ne semble pas susceptible de fragiliser cette relation.

Pourtant, au long des 19 lettres qui constituent le "récit" et courent de 1932 à 1934, le ton change peu à peu : il s'assèche. L'affection s'éloigne chez l'un alors que l'angoisse naît chez l'autre ; une distance s'installe. Une distance qui n'a rien de géographique mais qui est due à l'intérêt progressif qu'éprouve Martin pour l'idéologie développée par Hitler et qui le conduira à poser un acte impardonnable pour Max.

Au fil des pages et des missives, l'intensité et l'émotion montent en puissance. Avec une économie de moyens stupéfiante, Kressmann Taylor délivre un texte d'une force et d'une richesse extraordinaires qui nous montre comment une amitié profonde peut se transformer en une haine viscérale. Porté par un véritable crescendo, le final - on le comprend bien vite - ne peut être que dramatique.

Voilà un livre court - une septantaine de pages - qui mérite d'être découvert si, comme moi, il avait échappé à votre vigilance, ou d'être relu pour prendre la pleine mesure de sa modernité et de la résonance qu'il peut avoir dans notre 21e siècle. Un livre à offrir aussi, à partager parce qu'une telle perle se doit de circuler.


Je m'en voudrais de faillir à la tradition : en ce début d'année, je vous souhaite de belles lectures : surprenantes, amusantes, dépaysantes, ébouriffantes, interpellantes, intelligentes, mais aussi tendres, rassurantes, émouvantes... De quoi alimenter vos rêves et votre imaginaire pour les prochains jours des 12 prochains mois !




dimanche 20 octobre 2013

Certaines n'avaient jamais vu la mer

Julie Otsuka
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Carine Chichereau
Editions 10/18 n°4725
Prix Femina étranger 2012


"Certaines n'avaient jamais vu la mer" : quel beau titre pour ce roman qui commence par l'embarquement de centaines de Japonaises qui, séduites par le rêve américain et par la photo d'un homme plein de charme et de prestance, ont vogué vers un mirage. Nous sommes au début du 20e siècle et l'Amérique manque de bras dans ses exploitations agricoles. Au Japon, des femmes en désespérance rêvent d'amour et d'exotisme ; des agences matrimoniales leur ont proposé en mariage des compatriotes déjà installés en Californie.

Elles ont entre 13 et 37 ans. Cheveux noirs, longs et plats, kimono usé, venant de la ville ou de la campagne, sans histoire. Elles ont appris ce que toute femme japonaise doit savoir : cuisiner, coudre, servir le thé, marcher à petits pas... Elles se voient déjà dans de jolies maisons, aux côtés de cet homme bien mis qui leur sourit sur la photo car "en Amérique les filles ne travaillaient pas aux champs, il y avait plein de riz et de bois de chauffage pour tout le monde. Et partout où l'on allait, les hommes tenaient la porte aux femmes et soulevaient leur chapeau en disant: "Les dames d'abord" et "Après vous"."

La désillusion est présente en guise de comité d'accueil lors du débarquement : aucun homme ne correspond à celui qui les a tant fait rêver. Le désenchantement est total : au fil des chapitres (La première nuit, Les Blancs, Naissances, Les enfants...), chaque page, chaque ligne témoigne du décalage entre le rêve et la réalité. Exploitées à l'envi par des propriétaires terriens soucieux de rentabiliser leurs immenses propriétés, par des notables trop heureux de l'arrivée de ces nouvelles bonnes à tout faire ; logeant dans des baraquements, loin de ces beaux lits aux draps propres et bien tirés qu'elles avaient sans doute imaginés ; déconsidérées dans ce pays dont la langue - étrange - leur échappe mais dont elles comprennent quand même les intonations lorsque, par derrière, le patron vient leur susurrer quelques mots à l'oreille... Oui, vraiment, le rêve américain se révèle vite être un cauchemar.

Pour nous compter cette histoire, Julie Otsuka - petite-fille d'immigrés japonais -  a pris le parti de ne pas se concentrer sur un personnage mais de parler en utilisant la première personne du pluriel. En privilégiant la narration collective au témoignage individuel, elle donne à son récit la force du choeur antique. Chaque parole résonne avant que la suivante s'enchaîne, tel un écho. Mélopée lancinante dont les voix s'entremêlent, litanie d'où émerge l'un ou l'autre prénom, ce récit, s'il tient du devoir de mémoire, va bien au-delà du destin de ces japonaises : c'est l'histoire de la condition féminine encore trop souvent bafouée qu'il nous relate.

© Sylvie Strobl 


dimanche 1 septembre 2013

Deux zèbres sur la 30e Rue

Marc Michel-Amadry
Pocket n°15389


Au zoo de Gaza, les zèbres sont morts de faim et le directeur, Mahmoud Barghouti, a eu une idée géniale pour continuer à amuser les enfants : il a peint deux ânes de rayures noires et blanches afin de faire illusion !
Lorsque James, correspondant de guerre américain, découvre cela, c'est toute son existence qui s'en trouve bousculée. Lui, l'homme désabusé dont la vie n'a plus guère de sens, voit dans ce gentil subterfuge un acte de résistance emblématique contre la tristesse et la violence. Plutôt que d'écrire un énième récit sur les conflits qui agitent la région, il décide de publier dans son journal l'histoire de cet homme et de son "zoo de la joie". Parallèlement, il met tout en oeuvre pour l'aider à repeupler son parc animalier. Contre toute attente, il parvient à convaincre Mahmoud de venir à New-York - la ville de tous les dangers pour ce Palestinien - afin de lui faire rencontrer des personnes qui l'aideront à trouver girafes, éléphants et autres léopards, et surtout lui permettront de faire passer ces animaux dans la légalité. 

Si pour Mahmoud la rencontre avec James est une aubaine, pour celui-ci elle est une renaissance qui lui permet de s'ouvrir à nouveau à la vie et aux autres : c'est comme cela qu'il fait la connaissance de Jana, jeune Disc Jockey allemande dont il ne tarde pas à tomber amoureux.
De leur côté, Mathieu, jeune consultant français, et Mila, artiste peintre, se sont séparés pour fuir une relation trop fusionnelle. Chacun essaie de respecter le territoire de l'autre, mais secrètement tous deux n'ont qu'un espoir : se retrouver. Lorsque Mathieu découvre dans le journal l'histoire un peu folle du zoo de Gaza, cela lui donne une idée géniale pour reconquérir le coeur de Mila...

Chassé-croisé entre cinq individus sur le point de changer de vie, ce petit livre est bien plus qu'une simple histoire de rencontres et d'amour. Sur fond de conflit israélo-palestinien, Marc Michel-Amadry (qui signe ici son premier roman) parvient à nous parler de joie, de bonheur à construire, d'utopie aussi... et surtout à nous faire croire que le "possible" n'est pas si loin. Fable ou conte des temps modernes, la morale de ce récit ressemble à s'y méprendre à la célèbre phrase que Mark Twain écrivait il y a deux siècles déjà : "Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait". Quel beau programme pour entamer septembre avec optimisme et énergie. Alors à toutes et à tous, bonne rentrée !

dimanche 11 août 2013

Promenons-nous dans les bois

Bill Bryson
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Karine Chaunac
Petite Bibliothèque Pahot / Voyageurs n°922


Quand certains s'alanguissent sur des plages et que d'autres enfourchent leur vélo, d'autres encore préfèrent chausser leurs bottines, endosser un sac comprenant tente, réchaud et nouilles déshydratées, et partir à la découverte de la nature sauvage. C'est le cas de Bill Bryson.
De retour d'Angleterre où il a vécu plusieurs années, l'écrivain s'installe dans le New Hampshire et découvre que non loin de sa maison passe un sentier mythique : le sentir des Appalaches, long de quelque 3500 kilomètres. Très vite, l'envie le titille de se frotter à ce tracé incontournable pour les randonneurs aguerris. Mais pas question de se lancer sans préparation : lectures, étude de cartes et relevés topographiques, achats dans des boutiques spécialisées... constituent les prémices de l'aventure.

Pas question non plus de partir seul. Un vieux camarade d'école répond favorablement à sa proposition de l'accompagner. Stephen Katz, la quarantaine bedonnante, grand amateur de donnuts et de séries télévisées, n'est pas, a priori, le compagnon idéal : son manque d'entraînement n'a d'égal que sa propension au découragement. Mais qu'à cela ne tienne : nos deux marcheurs rejoignent le Mont Springer, point de départ sud du sentier. Ils entament alors un périple où le "danger" les guette derrière chaque arbre, qu'il s'agisse d'ours, de plantes toxiques, de cours d'eau à traverser à gué... ou d'autres randonneurs plutôt collants ! Sans oublier les insectes évidemment !

Avec beaucoup d'humour, B. Bryson nous conte cette aventure, agrémentant son récit de données historiques, géographiques ou botaniques, sans que cela ne vienne alourdir le cheminement qu'il nous invite à parcourir. Avec une bonne dose d'auto-dérision, il nous fait partager frayeurs, mésaventures, rencontres incongrues... Le récit fourmille d'anecdotes et nous donne l'impression, crampes en moins, d'affronter nous aussi les dénivelés du sentier. Au fil des étapes, c'est aussi un plaidoyer pour le respect et la protection de la nature que nous livre l'auteur.


Pas d'ours dans nos forêts, mais de belles rencontres au détour d'un sentier (© Sylvie Strobl)

dimanche 26 mai 2013

Le voyage de Luca

Jean-Luc Outers
Babel n°1162


A la naissance de leur fils Luca, Julie et Marian décident d'abandonner leur quotidien et de vivre "l'aventure" sur les routes des Etats-Unis. Quelques détails pratiques rapidement réglés, et les voilà au volant d'un vieux combi VW un peu brinquebalant, prêts à découvrir le pays de l'oncle Sam.

Bien sûr, il faut affronter quelques petites contrariétés, surtout lorsqu'on voyage avec un nourrisson allergique qui ne boit que du lait de soja et que l'immigration américaine, pour des raisons d'hygiène, recale le stock de boîtes de lait à l'aéroport. Mais il en faut plus pour décourager le jeune couple qui se lance dans un road-trip digne d'un guide touristique. Du Mexique aux confins du Canada, déserts, plages paradisiaques, rencontres... se succèdent, pour le plus grand plaisir (souvent) et le plus grand stress (parfois) de Luca et de ses parents.

A peine âgé d'un an, l'enfant grandit en mode nomade : "(Luca) ne trouvait rien de plus naturel que les départs. Quand nous installions notre campement quelque part, il savait que c'était provisoire. Vivre, c'était errer d'un endroit à un autre en s'arrêtant pour dormir". 

Premiers pas, premiers mots... et toujours des départs, et parfois des ruptures. Est-ce ce mode de vie qui, des années plus tard, conduira Luca adolescent aux portes de la dépression ? C'est en tous cas ce que semble penser Marian dont les conversations avec la thérapeute familiale entrecoupent et ponctuent le récit.

Ce beau texte de l'écrivain belge Jean-Luc Outers ouvre des horizons : il donne l'envie, au détour d'une page, de boucler son sac et de partir autour du monde. Mais il donne aussi la limite de ce qui peut s'apparenter à une fuite. Les personnages changent au fil du voyage et le narrateur, pour qui la paternité semblait effrayante, s'épanouit au fur et à mesure de l'évolution de son fils. Sans doute est-ce pour cela que, dans la relation avec la thérapeute, seule la voix paternelle est audible.

Gageons qu'il y a une belle part d'auto-biographie dans ce roman tout en finesse et en subtilité qui a obtenu le prix Victor-Rossel des jeunes en 2008.